LeQuotidienSurMonOrdi.ca

Une douleur vive encore

Le glissement de terrain de Saint-jean-vianney laisse encore aujourd’hui une communauté et un territoire profondément marqués par la tragédie

GUILLAUME ROY JOURNALISTE DE L’INITIATIVE DE JOURNALISME LOCAL groy@lequotidien.com

Le 4 mai 1971, un glissement de terrain a marqué l’histoire du Saguenay-lac-saint-jean à Saint-jean-vianney. Cinquante ans après cet événement, Le Progrès vous présente des témoignages d’anciens résidants, le travail effectué pour faire oeuvre de mémoire, ainsi que les avancées scientifiques qui ont permis de mieux comprendre ce qui s’est passé.

Le glissement de terrain du 4 mai 1971 survenu à Saint-jean-vianney a causé la mort de 31 personnes et la destruction de 42 maisons, marquant l’imaginaire collectif du Saguenay-lac-saint-jean. Cinquante ans plus tard, il existe autant d’histoires sur le drame qu’il y a eu de survivants. Le Progrès a rencontré deux anciens résidants, ainsi qu’une descendante d’une famille gravement touchée pour raconter ce qui s’est passé.

« Le soir du 4 mai 1971, ma marraine a appelé mon père, qui était journaliste au Soleil du Saguenay-lac-saint-jean (devenu Le Quotidien), pour lui dire qu’elle entendait des bruits vraiment bizarres d’arbres qui cassent et des grondements », se souvient Françoise Tremblay. La communication avec sa marraine, Yolande Landry, a ensuite coupé, laissant présager le pire.

Du haut de ses neuf ans, Françoise Tremblay, qui est d’ailleurs aujourd’hui graphiste pour Le Progrès, a par la suite entendu ses proches raconter la suite des événements, dont voici le récit. « Ma marraine et ses cinq enfants sont embarqués dans la voiture pour s’en aller vers Jonquière, alors que mon parrain parlait avec les voisins pour comprendre ce qui se passait. Quand il est venu pour embarquer, tout est parti, sa femme, ses enfants, sa voiture et sa maison. » L’homme a survécu, mais il a perdu six membres de sa famille, sur les 31 victimes.

Le drame a marqué la famille pour une longue période, car deux des enfants n’ont jamais été retrouvés. Une des filles a été retrouvée au Nouveau-brunswick, un an plus tard, portée par les flots du Saguenay et du Saint-laurent.

Une des filles de la famille disparue, Jeannette Landry, était une bonne amie de Rolande Lavoie, la fille du maire de l’époque, Lauréat Lavoie. Cette dernière travaille depuis plusieurs années à faire oeuvre de mémoire pour le village qui a disparu après cette tragédie.

Elle se souvient très bien de la soirée du drame, alors qu’elle écoutait le fameux match de hockey opposant le Canadien de Montréal aux Blackhawks de Chicago. « Un homme a appelé pour parler à mon père, qui était maire, en criant que des maisons avec des personnes à l’intérieur tombaient », se souvientelle. Avec sa mère et ses soeurs, elle est partie trouver refuge à Saintambroise alors que ses frères partaient à la recherche de survivants.

Ce n’est que le lendemain matin, en écoutant la liste des personnes disparues à la radio, dont son amie Jeannette, qu’elle comprend la gravité de la situation. Elle va alors visiter le lieu du sinistre avec son père, qui se fait offrir de faire un tour de reconnaissance en hélicoptère. Rolande Lavoie prend aussi place à bord.

« Du haut des airs, j’ai vu l’étendue du drame, avec des maisons qui tombaient encore dans le vide, dit-elle. Ça m’a vraiment marquée et j’ai longtemps fait des cauchemars, parce que je savais que Jeannette était là. J’ai tellement regretté d’être montée dans l’hélicoptère. »

Au total, 12 personnes n’ont jamais été retrouvées. « Pour moi, c’est un cimetière et je trouve ça difficile de voir des gens qui vont faire du quatre-roues à cet endroit-là. »

La suite des événements n’a pas été facile, car la famille a dû déménager la maison familiale à Shipshaw. Vivant une situation aussi difficile, plusieurs personnes cherchaient un coupable et c’est son père, le maire de l’époque, qui a écopé. « Je comprends les gens qui vivaient des émotions difficiles, parce qu’ils avaient perdu leur maison et leur famille, dit-elle.

Mais c’était aussi difficile pour nous, parce qu’on avait perdu des amis et notre village et on ne se sentait plus acceptés par la communauté. »

LE SOUVENIR D’UN SAUVETAGE

Le soir du 4 mai 1971, Benoit Girard, un ancien résidant qui avait 23 ans à l’époque, était en train de préparer le congrès régional des Jeunes chambres, des organismes de développement économique. « C’était tout un événement pour un petit village », se souvient-il. Dans la soirée, l’électricité a coupé et tout le monde est sorti. « On entendait des craquements et tout le monde courait dans les rues. La terre était en train de tomber dans la rue Saint-georges. »

Il part alors de l’autre côté de la route régionale, pour aller chez son beau-père. Ce dernier était parti fermer la route régionale et, une fois sur place, il a aperçu une voiture tomber dans le vide, avant de venir chercher de l’aide.

« On a trouvé une corde pour s’attacher. On s’est approché près du glissement et c’était affreux. Il y avait des craquements de terre qui déboulait. On a vu brasser une clôture en broche et quelqu’un qui était agrippé, en tentant de sortir de là. Il avait de grosses blessures à l’épaule et on l’a traîné sur nos épaules jusqu’à l’ambulance. »

Quelques minutes plus tard, l’endroit où se trouvaient les secouristes est aussi tombé dans le ravin. « On était jeunes et téméraires. On ne se rendait pas compte du risque. »

La femme qui se trouvait dans le véhicule de l’homme qui a été secouru a été retrouvée le lendemain matin, sur le toit de la voiture, tout près de Chicoutimi.

Benoit Girard se souvient aussi de l’incident vécu par son père, qui devait se rendre à l’usine d’alcan, pour aller travailler en soirée. Il faisait partie d’un groupe d’une quinzaine de travailleurs à bord d’un autobus… qui s’est retrouvé avec les deux roues avant dans le vide.

« Ils ont dû sortir par l’arrière », dit-il. Les hommes sont ensuite allés alerter les voisins, avant de trouver une voiture pour aller travailler. « C’était la mentalité de l’époque, le travail avant tout, mais ils ne savaient pas encore l’ampleur du drame, avant de revenir sur les lieux le lendemain matin. »

Chaque fois qu’il revient sur les lieux, Benoit Girard éprouve une certaine nostalgie de son enfance, se remémorant le terrain de jeu, la côte pour la glissade, la patinoire. « C’était un beau petit village dynamique. On pensait que ça deviendrait un grand village », dit-il avec une note d’amertume. Ce qu’il regrette encore plus, ce sont les actes de vandalisme qui sont fréquents sur le site.

Malgré la douleur, les citoyens de Saintjean-vianney ont fait preuve de résilience pour passer à travers cette épreuve d’une tristesse inouïe. Tout comme la marque laissée par le glissement de terrain sur le territoire, le drame a créé une énorme blessure pour la communauté. Avec le temps, la blessure se cicatrise, dans les esprits et sur le terrain, alors que la nature reprend ses droits, mais elle restera à jamais gravée dans la mémoire collective.

LA UNE

fr-ca

2021-05-01T07:00:00.0000000Z

2021-05-01T07:00:00.0000000Z

https://lequotidien.pressreader.com/article/281663962868643

Groupe Capitales Media