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La Complainte de la butte de Benoît Pelletier

PATRICK DUQUETTE pduquette@ledroit.com

Au bout du fil, la voix est claire, limpide, je dirais même joyeuse. Si ce n’est qu’elle faiblit parfois vers la fin des phrases, comme si elle manquait de souffle. « Bonjour Patrick, comment vas-tu ? » Je m’attendais à retrouver un Benoît Pelletier affaibli, diminué, par son terrible bras de fer avec la COVID. Mais non, après 56 jours de coma, après avoir failli succomber à la maladie, l’ancien ministre a le moral au beau fixe.

Il me dit qu’il a maigri d’une quarantaine de livres, mais ça ne se voit pas au téléphone. Dans le combiné, il me semble que c’est le bon vieux Benoît Pelletier qui parle. Pour un peu, on va se mettre à parler de politique ou de la Constitution canadienne, sa grande spécialité. Son épouse, Danièle Goulet, m’a dit qu’il a même recommencé à lire des documents pour se désennuyer de la vie d’hôpital…

Et vous, M. Pelletier, comment ça va, là, aujourd’hui ? l’ai-je relancé.

« Le moral a été bon du début à la fin de cette épreuve. Il n’a pas du tout fléchi. La volonté, la détermination étaient au rendez-vous. D’un point de vue physique, évidemment, j’ai beaucoup à réapprendre. À commencer par réapprendre à marcher », raconte-t-il du centre de réadaptation La Ressourse où il séjourne depuis le 20 avril, après plusieurs semaines aux soins intensifs.

Son corps a souffert de la maladie et des tonnes de sédatifs qui lui ont été administrés. Mais son esprit, par un prodige inouï, est demeuré intact.

« J’ai la même capacité cognitive qu’avant, la même personnalité qu’avant. Je n’ai pas de cauchemars, pas de stress post-traumatique, rien. Finalement, c’est assez étonnant, je dois l’admettre. Les médecins disaient à mon épouse que si je survivais, je pourrais devenir légume… »

Comme bien d’autres gens atteints par la COVID, il pensait que le combat contre la maladie serait l’affaire de quelques jours. Jeune, en forme, il a grimpé des montagnes en Gaspésie, en Autriche, en Italie… Il a commencé à ressentir des symptômes — une perte d’appétit — le jour de Noël. Deux jours plus tard, c’était de la fièvre et une grande fatigue. Le 30 décembre, il passait un test, le 31, il obtenait son résultat : positif, évidemment. Le 3 janvier, le voilà à l’hôpital. On l’intube. Il est plongé dans un coma artificiel dont il ne sortira qu’au début du mois de mars.

Comme sa fille Françoise l’a écrit dans une magnifique lettre à La Presse, la famille de Benoît Pelletier a réalisé que l’horreur n’arrive pas qu’aux autres. « On était devenus ces gens à qui ça arrive, ces héros des histoires tristes qu’on entend à la radio. »

De ses longues semaines dans le coma, Benoît Pelletier ne se souvient de rien. C’est un gouffre, un abîme creusé à grands coups de sédatifs puissants et de paralysants pour préserver son cerveau et son organisme des ravages de la détresse respiratoire. Sa femme qui le visitait toutes les semaines, qui le voyait maigrir et dépérir, qui avait commencé à faire son deuil de l’homme qu’elle aimait, a trouvé cet abîme plus difficile à traverser que le principal intéressé.

Le fond du gouffre est atteint au début mars. Les médecins préviennent Danièle qu’ils veulent lui faire une « recommandation » le vendredi. Entre-temps, la famille est invitée à venir faire ses adieux. « Je répondais mal au traitement et j’ai passé proche de mourir à plusieurs reprises pendant mon coma », raconte M. Pelletier.

Entre-temps, miracle. Alors même que la famille lui fait ses adieux, M. Pelletier commence à se réveiller. Lors de ses premières périodes d’éveil, dont il ne garde aucun souvenir, on lui a dit qu’il souriait, riait même. « Ma famille est venue me voir et j’étais accueillant, chaleureux, dynamique. Les médecins ont bien vu qu’il y avait lieu de réviser le diagnostic. Ce fut le début de la renaissance. »

Au début, il ne pouvait prononcer un mot à cause de sa trachéo. Sa femme m’a raconté qu’il écrivait des choses sur un tableau blanc, qu’il formait aussi des mots du bout des lèvres. L’un des tout premiers mots, Danièle l’a reconnu tout de suite, c’était facile : « Benoît, tu viens de me dire que tu m’aimes ? »

À la suggestion d’une infirmière, Danièle avait décoré la chambre de M. Pelletier aux soins intensifs. Avec des photos de famille. Et un écriteau disant : je m’appelle Benoît. Pour que le personnel soignant le voie non pas comme un corps malade, avec la peau et les os, mais comme un être humain, avec une vie, des enfants, des projets, des ambitions. « Ces photoslà, me dit Benoît Pelletier, je les ai encore sur le mur de ma chambre. C’est une façon de me stimuler, de me renforcer. Sur le plan psychique, ça a joué pour beaucoup dans mon retour en force. »

Les médecins ? Le personnel soignant ?

« Ils ont été excellents, dit Benoît Pelletier. Je n’ai que de très bons souvenirs d’eux. J’ai été tellement impressionné par notre système de santé. Vraiment, c’était fantastique. »

Son message ? Il ne vous surprendra pas. « Pour moi, c’est très clair que la COVID présente un danger réel. C’est quelque chose qu’il ne faut pas banaliser. Ça peut arriver à tout le monde avec des conséquences à très long terme, sinon pour la vie. J’ignore les séquelles. Mais il y en aura. Pulmonaires, à tout événement. »

Dans l’émouvante lettre qu’elle a écrite à propos de son père, sa fille Françoise relate qu’au moment de lui faire ses adieux, elle lui a murmuré des mots d’amour. Elle lui a chanté sa chanson préférée, la Complainte de la butte : « Ma petite mendigote, je sens ta menotte qui cherche ma main, je sens ta poitrine et ta taille fine, j’oublie mon chagrin… »

Benoît Pelletier ne se rappelle rien de tout cela. Mais qui sait si les mots doux de ses proches n’ont pas fait une différence. Qui sait si une partie de lui-même n’a pas senti les « menottes » qui cherchaient sa main lors des longues heures de veille aux soins intensifs.

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