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Le tabou de la nationalisation

DANIEL CÔTÉ dcote@lequotidien.com

Peu importe la tournure que prendra ce dossier, le conseiller municipal Jean-marc Crevier pourra se vanter d’avoir brisé un tabou, lundi. Le simple fait qu’il ne soit plus opposé à la nationalisation des barrages de Rio Tinto a ouvert des perspectives qui, jusqu’alors, relevaient du fantasme.

Depuis la nationalisation de l’électricité opérée en 1962, à l’instigation de René Lévesque, le privilège accordé à la compagnie Alcan semblait couler de source. Elle avait conservé ses barrages parce que le gouvernement Lesage jugeait que la province y trouvait son compte. Tant que ça créait de l’emploi, on fermait les yeux.

Cette logique a prévalu jusqu’à tout récemment. Faisant consensus, les élus de la région, la communauté d’affaires et les syndicats, au sein desquels Jean-marc Crevier a longtemps milité, croyaient en la pertinence de ce deal remontant à l’époque des télés en noir et blanc. S’y opposer revenait à se camper dans la marginalité.

Les gouvernements se sont succédé sans qu’aucun ne mette en cause les prérogatives de la compagnie. Même sous le règne de Rio Tinto, marqué par tant de déceptions, cet alignement des planètes semblait immuable. Et pourtant…

Le désenchantement était de plus en plus manifeste, derrière les formules diplomatiques employées par nos élus. Comme Lucy qui retire le ballon de football au moment où Charlie Brown s’apprête à le botter, Rio Tinto avait abusé de la patience des Jeannois et des Saguenéens en ne procédant pas aux investissements attendus.

L’électrochoc administré par Jean Simard, président de l’association de l’aluminium du Canada, aura constitué le point de rupture. Dans un mémoire soumis au ministre des Finances du Québec, lors des consultations prébudgétaires 2021, il a demandé que l’état cesse de tracer un lien entre le maintien des emplois et l’aide versée à l’industrie, tout en réclamant plus d’argent.

« Les politiques de soutien financier ne peuvent plus être ancrées sur une base d’emploi par dollar », est-il écrit dans ce document. La liste des demandes, elle, fait penser à celles que les enfants soumettent au père Noël. Aide pour l’innovation, l’économie circulaire, et l’entretien des usines. Crédits d’impôt tous azimuts.

Après avoir accordé son appui à Jean-marc Crevier, son collègue au conseil municipal de Saguenay, Michel Potvin, a rappelé le caractère extravagant du mémoire de l’association. « Rio Tinto réclame le beurre, l’argent du beurre et encore plus pendant qu’elle crée de moins en moins d’emplois dans la région », a-t-il imagé.

Pour sa part, le professeur Jeanthomas Bernard a avancé que la nationalisation des ouvrages hydroélectriques représentait une opération difficile, mais réalisable. S’exprimant dans Le Quotidien, il a ajouté que la valeur de cette source d’énergie renouvelable avait augmenté, du fait de la crise climatique.

L’économiste Marc-urbain Proulx croit aussi que cette valeur s’est appréciée pour la peine. Sans prôner la nationalisation, il estime que la méthode douce a échoué et souhaite que la région fasse front commun pour exiger que Rio Tinto favorise la transformation du métal gris.

Cette demande est familière, mais le ton plus insistant reflète l’insatisfaction exprimée par Jean-marc Crevier et Michel Potvin. C’est comme si le cours de l’histoire s’était accéléré et le vertige que d’aucuns peuvent ressentir n’a rien d’inhabituel, ainsi que le décrit René Lévesque dans le livre Attendez que je me souvienne.

Revenant sur les événements de 1962, l’ancien ministre libéral souligne à quel point la nationalisation de l’électricité avait apeuré une frange de l’électorat francophone : « On se heurtait à ce conservatisme frileux qui, à la longue, en vient à faire partie intégrante d’une mentalité de colonisé. »

On connaît la suite. Surmontant leurs craintes, ses concitoyens ont voté pour la nationalisation et depuis, Hydro-québec constitue un objet de fierté.

ÉDITORIAL

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2021-06-12T07:00:00.0000000Z

2021-06-12T07:00:00.0000000Z

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