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QUAND LE CURÉ A MAL À SON ÉGLISE...

PAULE VERMOTDESROCHES pvermot@lenouvelliste.qc.ca

« La réconciliation, je n’y crois pas si elle ne vient pas avec les excuses de l’église catholique. Présentement, j’ai mal à mon église, de par les conséquences engendrées par ce refus de s’excuser. Ce n’est pas correct, ce n’est pas évangélique. »

Depuis seize ans, l’abbé Pierre Houle, prêtre au diocèse de Nicolet, est curé missionnaire dans la communauté abénakise d’odanak. Depuis seize ans, il entend les confessions des Abénakis, dont certains sont aussi des survivants des pensionnats autochtones. Depuis seize ans, il travaille dans un esprit de solidarité, de compassion et d’amour pour cette communauté qu’il a choisi d’habiter et de servir.

Mais depuis la découverte des restes de 215 enfants à l’ancien pensionnat autochtone de Kamloops, en Colombie-britannique, il a mal au coeur. Évidemment, cette découverte macabre est venue le secouer, mais surtout choquer et ébranler les membres de la communauté d’odanak. Aujourd’hui, il a aussi mal au coeur de voir que la Conférence des évêques catholiques du Canada refuse toujours de présenter ses excuses officielles aux communautés autochtones pour cet épisode sombre de l’histoire canadienne.

C’est avec un homme d’église convaincu et qui ne mâchait pas ses mots que j’ai pu m’entretenir cette semaine. À travers une lettre rédigée de sa main et envoyée à son évêque, et que nous reproduisons ce matin dans la section Opinions des lecteurs, il a voulu lui-même, sur une base personnelle, s’excuser à l’ensemble des nations autochtones pour les préjudices subis dans ces pensionnats autochtones.

« En tant que prêtre de l’église catholique et curé missionnaire de la communauté abénakise d’odanak qui compte parmi ses membres certains survivants des pensionnats indiens, je n’ai aucune hésitation à exprimer mes profonds regrets et à présenter mes plus sincères excuses, d’abord aux survivants qui portent de profondes blessures et aux familles ayant souffert de la dure réalité des pensionnats, mais aussi à toute la communauté abénakise et, par extension, à l’ensemble des peuples des Premières Nations affectés par cette page sombre de notre histoire commune », peut-on lire dans cette lettre.

Mais puisqu’il ne parle pas au nom de l’église avec un grand « É », l’abbé Houle aimerait tant que les voix en haut lieu s’élèvent pour en faire autant. Même si ça entraîne d’importantes considérations juridiques pour l’église. Pour lui, la réconciliation des peuples et la guérison des survivants et de leurs descendants devraient transcender toute autre considération, point.

« Je le fais par solidarité et compassion avec les gens d’odanak et de tous les peuples autochtones. Mais je le fais aussi par amour pour mon Église. Cette Église, elle a aussi connu des pages lumineuses. Ça n’a pas toujours été que du mauvais.

Mais à mon avis, ce refus répété de présenter des excuses va nuire à la crédibilité de la religion catholique, et elle va aussi nuire à notre action pastorale », croit le prêtre.

La découverte des 215 enfants à Kamloops a été un choc pour la communauté où il oeuvre. « Ça fait suite à deux autres ondes de choc qui ont ébranlé les communautés autochtones, soit l’enquête portant sur la mort et la disparition de femmes autochtones, mais aussi plus récemment la mort de Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette. Tout ça réveille forcément de vieilles blessures », considère le prêtre, qui croit également que la réconciliation ne pourra se faire sans une « lutte acharnée contre le racisme systémique ».

Cette semaine, l’abbé Houle multipliait les rencontres de paroissiens pour la préparation au baptême de bébés qui ont vu le jour dans les derniers mois. À Odanak, il ne le cache pas, le fond catholique est plus fort que celui que l’on peut retrouver dans d’autres communautés. Les gens viennent vers lui, plusieurs poursuivent dans la tradition catholique. Sans être de fidèles pratiquants, ils se tourneront tout de même vers Pierre Houle pour perpétuer les rites sacrés qui marquent souvent les grandes étapes de la vie.

Et parfois, ils viennent aussi vers lui pour se confesser.

Ce qu’il a pu entendre de certains des membres de la communauté lui a donné froid dans le dos.

« J’ai pu parler avec quelques survivants. Je pense à l’un d’eux qui avait été au pensionnat de Pointe-bleue, au Lac-saint-jean. Il a vécu des horreurs. Je n’exagère pas, des horreurs sans nom. Il est profondément blessé », relate le curé missionnaire.

Or, ce silence de la Conférence des évêques en ce qui concerne de possibles excuses officielles de l’église catholique, il commence à peser lourd sur la perception du public, que ce soit pour les peuples autochtones ou pour les allochtones. « La perception, actuellement, c’est que l’église se cache. Ça amène aussi une perception de manque d’humanité, et je ne peux pas rester silencieux devant ça, puisque l’humanité, la fraternité universelle, ce sont les bases, les fondements de notre religion », considère l’abbé Houle.

Mais monsieur le curé, les évêques dont vous parlez changeraient-ils de perception, de décision, s’ils venaient passer ne serait-ce que quelques jours dans l’une ou l’autre des communautés ? Auraient-ils un autre discours s’ils venaient discuter avec les survivants, avec leurs enfants et petits-enfants ? S’ils venaient dans un esprit de partage pour mieux les comprendre et apprendre de leur culture et de leur spiritualité ?

« Je pense qu’ils peuvent en effet être un peu déconnectés du terrain. Mais je pense surtout qu’ils sont dans une période où ils ne savent plus trop quoi faire. Ça doit les remuer, les travailler, et je suis convaincu que ce silence ne fait pas l’unanimité, que certains d’entre eux aimeraient que ce soit différent », avance-t-il.

Et de tenir un tel discours, de s’éloigner du rang, ne peut-il pas vous nuire ? « J’assume ! Voilà des années que je milite en faveur de la liberté de parole, en autant qu’elle se fasse dans le respect », répond Pierre Houle.

C’est donc cette parole qu’il prend aujourd’hui, pour demander aux hauts dirigeants de changer leur fusil d’épaule et de considérer les impacts que pourrait avoir ce refus de s’excuser. À considérer par-dessus tout cette espérée réconciliation entre tous les peuples, une réconciliation qui s’amorce, mais qui n’a pas besoin qu’on lui mette des bâtons dans les roues.

Après tout, n’est-ce pas la religion catholique qui a fait de la réconciliation l’un de ses principaux sacrements ?

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