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Le cri des enfants de Kamloops

PATRICK DUQUETTE pduquette@ledroit.com

D’habitude, je suis contre le déboulonnage des statues. Et pourtant, je suis totalement d’accord avec ceux qui réclament un changement de nom pour la promenade John A. Macdonald — un joli chemin qui borde la rivière des Outaouais, à Ottawa.

D’habitude, disais-je, j’en ai contre cette forme de révisionnisme qui consiste à faire le procès des personnages du passé à la lumière des valeurs d’aujourd’hui. Si on se met sans cesse à relire l’histoire avec nos yeux de contemporains, on n’a pas fini de changer des noms de rues et de décapiter des statues. À force de ne conserver que les personnes parfaites (à supposer que ça existe !), on va se créer une histoire du Canada parfumée à l’eau de rose. Et ce serait un grave accroc à notre devoir de mémoire.

N’empêche que l’histoire, justement, a le don de nous servir des arguments de poids pour réviser nos hommages passés. La récente découverte des dépouilles de 215 enfants sur le site d’un ancien pensionnat autochtone à Kamloops, en Colombie-britannique, en est un exemple. L’épisode a relancé le débat entourant les monuments et lieux au nom de John A. Macdonald.

Le tout premier premier ministre de l’histoire du Canada est sans conteste un personnage majeur de l’histoire du pays. Sans lui et Georges-étienne Cartier, le Canada tel qu’on le connaît aujourd’hui n’existerait pas. Mais comme Darth Vader, John-a. a un côté sombre. Il est considéré comme l’un des architectes des pensionnats autochtones. C’est sous sa gouverne qu’on déplaça les Métis de leur territoire, qu’on pendit Louis Riel et qu’on commit mille injustices envers les peuples des Premières Nations. Injustices qui ont un triste retentissement encore aujourd’hui.

Le cri silencieux des enfants de

Kamloops est venu nous le rappeler de sinistre façon.

Je me mets à la place des gens des Premières Nations qui ont connu les pensionnats autochtones. Qui souffrent encore d’avoir été arrachés à leurs familles, dépossédés de leur culture et de leurs traditions. Je ne peux qu’imaginer ce qu’ils ressentent lorsqu’ils sont appelés à circuler sur un chemin qui porte le nom d’un de leurs bourreaux. « Chaque fois que j’entends le nom de John A. Macdonald, confiait cette semaine Albert Dumont, un conseiller spirituel anishinabé à Radio-canada, un sentiment d’oppression me vient à l’esprit. Je pense à un être humain au coeur cruel… »

esprit de réconciliation avec les Premiers Peuples.

Pourquoi une exception dans ce cas précis ?

D’abord, parce que ce ne serait pas une grande concession à notre répertoire toponymique. La capitale fédérale regorge déjà de lieux honorant la mémoire de John A. Macdonald - un pont, des édifices, un parc… En outre, la dénomination de la promenade est toute récente. Elle date de moins de 10 ans. C’est le gouvernement Harper qui, dans une ruée partisane vers les symboles conservateurs, l’a renommée ainsi en 2012. Il ne s’agit donc pas de débaptiser une rue comme Wellington ou Rideau qui existe depuis des décennies.

Ensuite, la symbolique du geste. Albert Dumont proposait cette semaine de rebaptiser la promenade John A. Macdonald du nom algonquin de la rivière des Outaouais : Kichi Zibi. Ce serait tout à fait approprié pour un chemin qui longe un cours d’eau dont l’importance est centrale dans la culture anishinabée. Comme je disais, il restera encore nombre de statues et de rues nommées en l’honneur de John A…

J’aime l’idée du geste de réconciliation. C’est un symbole fort. En tout cas, un symbole plus significatif que ces politiciens qui répètent avant chaque discours qu’ils se trouvent en territoire algonquin non cédé. Ce serait aussi une façon de répondre au cri des enfants de Kamloops. Une manière de dire : nous vous avons entendus.

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2021-06-12T07:00:00.0000000Z

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