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LE SYMBOLE D’UN COLLECTIF

PROFESSEUR D’HISTOIRE À L’UQAC, FRANÇOIS-OLIVIER DORAIS NOUS RACONTE L’HISTOIRE DERRIÈRE LE DRAPEAU DU SAGUENAY-LAC-SAINT-JEAN

Le fait que le Saguenay-lac-saintjean soit la seule région du Québec à posséder un drapeau est un élément de fierté pour la population, sans compter qu’il a été classé objet patrimonial en 2018. Est-ce une surprise pour vous, étant donné que les Saguenéens et les Jeannois sont justement reconnus pour être des gens fiers ?

Effectivement, le Saguenay est un cas intéressant, surtout quand on sait que son drapeau régional voit le jour dix ans avant le fleurdelisé et plus de vingt-cinq ans avant l’unifolié. C’est aussi le seul drapeau d’une région du Québec qui a flotté sur l’emplacement de l’expo 67 à Montréal. Ce régionalisme plus prononcé n’est pas si surprenant que cela. Le Saguenay a, en quelque sorte, la culture de sa géographie. Il ne faut pas

oublier que jusqu’aux années 1950, la région est une enclave géographique encore relativement isolée. Cette insularité a, je pense, beaucoup modelé l’imaginaire et les comportements de sa population. Elle a stimulé un puissant sentiment d’indépendance, de liberté, d’originalité, voire d’indocilité, qui s’est traduit, dès le 19e siècle, par la création des premiers journaux régionaux (Le Progrès du Saguenay, Le Colon),

l’énonciation de projets industriels d’envergure (avec La Pulperie), de projets de colonisation (Hébertville), puis le développement d’une littérature régionale, d’un cinéma régional, de fêtes religieuses et civiles et d’entreprises de commémoration (comme l’érection du Monument des Vingt-et-un en 1924). Le drapeau s’inscrit dans la suite de ce long processus de construction d’une référence régionale distincte.

Le drapeau du Saguenay de 1938, adopté plus tard par tous les citoyens du Saguenay-lacsaint-jean, a été conçu dans quel contexte? Parlez-nous de l’histoire entourant cet emblème.

Le drapeau du Saguenay est créé à l’initiative de la Société historique du Saguenay, plus particulièrement de son président, Mgr Victor Tremblay, dans le contexte des festivités du centenaire de 1938, où il sera hissé pour la première fois au mât du grand théâtre construit pour l’occasion. Cette fête à grand déploiement, ponctuée de messes, de défilés, de spectacles et de commémorations à la gloire des «fondateurs» du Saguenay, marque une étape très importante dans l’affirmation d’une référence identitaire régionale. L’initiative n’est toutefois pas isolée ; elle s’inscrit alors dans un mouvement d’effervescence régionaliste plus large qui se manifeste dans plusieurs régions du Québec, comme en Mauricie, dans les suites du tricentenaire de Trois-rivières (1934), ou dans les Cantons-de-l’est, avec le centenaire de Sherbrooke (1937). L’expression de ces patriotismes régionaux est, pour beaucoup, une conséquence de la crise économique qui sévit dans les années 1930. Voyant que les populations régionales étaient confrontées à des difficultés matérielles et économiques assez importantes, les élites régionales – surtout le clergé – vont s’engager dans une vaste campagne de mise en valeur de leur région d’appartenance par l’histoire, la littérature, le théâtre, la photographie, le cinéma, la presse, etc. L’idéologie régionaliste était alors perçue comme une forme d’idéal mobilisateur, une voie d’évasion pour transcender une situation économique particulièrement difficile.

Dans le cas du drapeau plus spécifiquement, il faut savoir qu’il n’était à ce moment qu’un outil promotionnel parmi d’autres. On en parle d’ailleurs relativement peu dans les documents d’archives du comité du centenaire et ce n’est véritablement qu’à partir du milieu des années 1950, à la suite de la création de la Ligue du drapeau, que l’emblème commence à s’imposer davantage dans l’espace public. En fait, il faut savoir que ce sont plutôt les couleurs du Saguenay figurant sur le drapeau (le vert, le jaune, le rouge et le gris) qui étaient au coeur du dispositif symbolique du centenaire. Le comité organisateur avait d’ailleurs enregistré ces couleurs pour en contrôler l’utilisation et éviter qu’elles ne servent à des fins commerciales. On invitait plutôt la population à utiliser ces couleurs à loisir (moyennant une autorisation) pour la confection de vêtements, d’accessoires et d’objets personnels comme des bérets, des cravates, des écussons, des robes, des fanions, des banderoles, etc.

Quelle est l’importance d’avoir un drapeau, justement ?

Un drapeau est le symbole d’un collectif, qu’il soit militaire, associatif, politique, national ou régional. C’est quelque chose qui suscite et concrétise l’identification, ce dont tout groupement organisé a besoin pour s’affirmer et persévérer. Pour cela, les drapeaux sont très efficaces, car ils habitent le quotidien des gens, à la différence d’autres symboles comme les fêtes nationales ou les commémorations, qui surviennent de façon plus sporadique. Dans le cas spécifique du drapeau saguenéen, celui-ci visait surtout, au début, à nourrir un esprit civique, un sens patriotique et de solidarité dans la région. Les discours inaugurateurs de Mgr Tremblay insistent beaucoup sur le lien entre le drapeau, le sentiment d’appartenance régional et le développement des vertus civiques, notamment chez les jeunes. Bien entendu, l’église trouvait son compte là-dedans, dans la mesure où l’un des devoirs sociaux les plus valorisés chez les citoyens était leur participation accrue aux mouvements d’action catholique et aux oeuvres paroissiales de la région. Il en va de même pour les grandes entreprises comme l’alcan, qui vont notamment tabler sur le patriotisme régional pour mobiliser les ouvriers de la région dans l’effort de guerre.

LE MAG

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2021-06-12T07:00:00.0000000Z

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