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DES CHANGEMENTS À LA LOI SUR LES MÈRES PORTEUSES SOUHAITÉS ET ATTENDUS

JONATHAN CUSTEAU

Il faut s’entendre pour que la grossesse soit quelque chose qui appartient à la femme et savoir qu’elle est soucieuse de prendre les bonnes décisions pour le bien de l’enfant.»

— Isabel Côté, titulaire de la chaire de recherche du Canada sur la procréation pour autrui et les liens familiaux et professeure à l’université du Québec en Outaouais

SHERBROOKE — Le ministre québécois de la Justice, Simon Jolin-barrette, a déjà annoncé plus tôt cette année son intention de réformer le droit familial. La première phase, espérée cet automne, devrait porter sur la filiation, soit le lien unissant les enfants aux parents. Si la Coalition des familles LGBT+ juge qu’il est plus que temps que la loi québécoise s’adapte à la réalité d’aujourd’hui dans le domaine de la gestation pour autrui (GPA), l’avocate reconnue Doreen Brown ne retient pas son souffle. Elle y croira quand elle le verra.

« Nous avons rencontré Simon Jolin-barrette en février et nous lui avons présenté nos revendications. Il prévoit une réforme du droit familial cet automne, mais ce n’est pas la première fois qu’on entend ça. Nous avons commencé à présenter des mémoires en 2016. Lors des consultations, nous souhaitons faire entendre des femmes porteuses. Il est important d’avoir leur point de vue », rapporte Mona Greenbaum, directrice de la Coalition des familles LGBT+.

« Nous espérons un processus administratif plutôt qu’un processus légal pour reconnaître le statut des parents d’intention. On veut qu’une entente soit prise devant un notaire ou un avocat avant la naissance pour éviter d’aller devant les tribunaux pour adopter nos propres enfants. »

Dominique Goubau, avocat et professeur titulaire à la faculté de droit de l’université Laval, fait partie des dix experts du comité consultatif sur le droit de la famille ayant publié un rapport en 2015. « Une des recommandations était de s’aligner sur le droit des autres provinces, mais nous avons aussi proposé des conditions qui vont plus loin. Pour éviter l’exploitation économique des femmes et assurer que les choses se passent correctement, nous suggérons pour les parties impliquées de rencontrer des experts de la protection de l’enfance. Il s’agirait d’accompagner les parties prenantes avec un certain formalisme pour assurer que tous soient bien informés. Le fait de passer par les tribunaux pour l’adoption est une forme de contrôle de l’état, déjà, mais il est vrai que c’est trop lourd. Une méthode administrative serait préférable.

« Ce qui est important, c’est la possibilité de déclarer une copaternité. Obliger les hommes à passer par les tribunaux pour adopter leur enfant est inutile et néfaste. On encombre les tribunaux pour rien. »

Isabel Côté, titulaire de la chaire de recherche du Canada sur la procréation pour autrui et les liens familiaux et professeure à l’université du Québec en Outaouais, proposerait pour sa part l’intervention d’un médiateur pour assurer l’intégrité du processus. « Les femmes porteuses disent à peu près toutes la même chose : pour elles, ce qui est intéressant, c’est la relation d’amitié avec les parents d’intention. Avoir une loi rassure l’ensemble des parties parce que les modalités de départ sont claires. Toutes les recherches tendent à démontrer qu’à partir du moment où les couples ont clarifié les choses, tout se passe bien.

« Québec devrait organiser des modalités de médiation avec des médiateurs agréés plutôt que des notaires. Il est important que le couple sache qu’il n’aura pas de contrôle sur la grossesse, qu’il n’est pas possible de forcer une procédure comme un avortement. »

Mme Côté ajoute qu’il faut éviter, dans les contrats, d’imposer des comportements aux femmes, par exemple les empêcher de faire de la moto ou de prendre leurs enfants pour éviter une faussecouche « Il faut s’entendre pour que la grossesse soit quelque chose qui appartient à la femme et savoir qu’elle est soucieuse de prendre les bonnes décisions pour le bien de l’enfant. »

Pour Doreen Brown, avocate en droits de la famille oeuvrant dans le domaine de la GPA depuis 1984, la nouvelle loi québécoise devrait s’inspirer de celle de l’ontario. « J’ai parlé plusieurs fois au gouvernement pour donner mon opinion. Je vais croire le changement de la loi quand je vais le voir. Pour le moment, je n’ai pas vu de rapport final. Il faut aussi se demander si les notaires sont prêts à rédiger ces contrats. »

DES RISQUES D’EXPLOITATION ?

Qu’en est-il du risque de l’exploitation du corps des femmes ? « Ce n’est pas vrai que les personnes gestantes sont exploitées. Souvent, les parents d’intention gardent un lien avec la femme porteuse », plaide Mona Greenbaum.

« Dans les pays où les femmes sont pauvres, ça peut mener à l’exploitation. Ici, les motivations des femmes sont variables, mais la plupart veulent aider. Ce n’est pas parce qu’elles ont besoin d’argent pour nourrir leur enfant. »

Isabel Côté abonde dans le même sens. Elle voit même une forme possible de discrimination dans certains discours.

« On ne peut pas faire abstraction de l’homophobie ou du sexisme envers les couples gais. Parce que ce sont deux hommes, on considère plus rapidement qu’ils sont à même d’exploiter le corps de la femme, alors que les mères porteuses, elles, ont une relation intéressante avec eux. Ces couples qui ne peuvent pas enfanter naturellement arrivent souvent avec une meilleure préparation parentale parce qu’ils ont beaucoup réfléchi en amont. »

Selon Mme Côté, il n’existe pas de statistiques fiables sur les enfants naissant de la GPA au Canada. « Nous estimons qu’ils sont quelques centaines chaque année. »

Elle mène d’ailleurs une recherche pour connaître l’impact de ce type de procréation sur l’enfant.

À titre indicatif, Doreen Brown estime ouvrir environ trois dossiers portant sur la GPA chaque semaine. Plusieurs cas proviennent toutefois de l’extérieur de la province ou du pays.

Notons que la Coalition des familles LGBT+ plaidera aussi, dans la réforme du droit familial, pour un encadrement légal de la pluriparentalité, un concept à ne pas confondre avec la polygamie. L’ontario permet déjà la reconnaissance de quatre parents, alors que la Colombie-britannique en reconnaît jusqu’à six.

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2021-07-24T07:00:00.0000000Z

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