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MÈRE PORTEUSE: DU COEUR... AU VENTRE

KARINE TREMBLAY karine.tremblay@latribune.qc.ca

Si Gabriel et Martin sont aujourd’hui les heureux papas de Vincent et Anaïs, c’est grâce à Claudia, la soeur de Gabriel. Celle-ci a porté les jumeaux du couple.

Son neveu et sa nièce ont aujourd’hui six ans. Elle les appelle affectueusement « ses poussins ». Ceux qu’elle a couvés pendant neuf mois.

Le temps d’un entretien, Claudia a généreusement accepté de me raconter cet épisode heureux. Pour qu’à mon tour, je vous raconte. Regard sur une histoire de coeur, de famille, de don de soi et de don de vie.

*Note: les prénoms ont été changés pour préserver l’anonymat de la famille.

Les jumeaux Vincent et Anaïs parlent ouvertement du temps où ils étaient dans le ventre de « matante Clau ».

« Ils savent qu’ils ont grandi dans ma bedaine, on ne leur a jamais caché. De toute façon, avec ce qu’ils voient au cinéma ou dans les livres, les enfants comprennent dès leurs premières années qu’ils viennent du corps d’une femme. Mais tu vois, les jumeaux disent aussi que s’ils sont nés, c’est quand même grâce à leurs papas. Parce qu’ils les espéraient très fort. Ils ont beau n’avoir que six ans, ils savent à quel point ils étaient désirés », me raconte Claudia.

Celle-ci évoque avec beaucoup de tendresse son vécu de mère porteuse. Un don de soi auquel elle avait déjà pensé, bien longtemps avant d’envisager cette avenue plus sérieusement.

« J’ai eu deux enfants, qui sont grands maintenant, et chacune de mes grossesses avait été merveilleuse. Lorsque j’étais enceinte, moi, je rayonnais ; je me sentais vraiment bien et épanouie à tous points de vue. J’avais souvent dit à mon entourage que si ça avait été possible, j’aurais aimé être mère porteuse. »

L’idée ne serait peut-être pas allée plus loin s’il n’y avait pas eu ce déclic, des années plus tard.

« Mon frère est sorti du placard et a affiché son homosexualité il y a 13 ans, alors qu’il était déjà dans la vingtaine. Son plus grand deuil, c’était celui de ne pas pouvoir avoir d’enfants, de renoncer à être papa », se souvient la Sherbrookoise.

C’est après avoir discuté avec une femme qui était en processus de fécondation in vitro, avec des ovules qui n’étaient pas les siens, que la possibilité de porter un enfant pour son frère et son beau-frère a vraiment fait son chemin dans l’esprit de Claudia.

« Il n’était pas question que mes ovules fassent partie de l’équation ; ça, je n’aurais pas été capable. Je ne voulais pas qu’il y ait de lien biologique avec un enfant que je porterais pour quelqu’un d’autre. Et de toute façon, j’avais 45 ans. Peu importe la situation, j’aurais été trop vieille pour qu’on utilise mes ovules. »

Sans en parler à qui que ce soit, elle a réfléchi à la question. Elle a aussi consulté en obstétrique pour connaître les risques associés à une grossesse à la mi-quarantaine.

« Je n’avais pas de problème de santé, donc le seul hic, c’était que je

doublais mes chances de faire du diabète de grossesse. Au lieu d’être de 5 %, mon risque passait à 10 %. Je pouvais vivre avec ça. »

Une fois sa décision prise, elle a profité d’un moment où elle était seule avec son frère pour lui faire une proposition.

« Je lui ai dit de prendre le temps de bien y penser, mais que s’il était certain de vouloir fonder une famille avec son amoureux, je lui offrais d’être leur mère porteuse. »

C’était aussi inattendu qu’inespéré et généreux. Gabriel a réfléchi pendant tout un mois avant d’en parler à son conjoint, qui a immédiatement sauté de joie.

Le couple (qui habite à deux heures de route de Sherbrooke) est ensuite venu passer un week-end chez Claudia. « Pour qu’on puisse jaser tous les trois de tous les enjeux en cause. On a parlé de tout, on a vraiment vidé la question. Je connaissais mes limites, et elles étaient claires. Je leur offrais mon utérus, on se tournait vers la fécondation in vitro et ils devaient trouver une donneuse d’ovules. »

Autre condition : les deux enfants de Claudia, qui avaient alors 15 et 17 ans, devaient aussi donner leur accord.

« J’étais célibataire à ce momentlà, mais il n’était pas question qu’on s’embarque dans un processus comme celui-là si mes enfants n’étaient pas à l’aise. »

Après ça seulement, les véritables démarches ont débuté et ont mené le trio jusqu’en Ontario.

À la clinique de fertilité de Toronto où ils ont abouti, leur cas était assez particulier.

« Ils n’avaient jamais vu ça, une femme qui souhaitait porter un enfant pour son frère et son beaufrère. On n’était vraiment pas un cas typique parmi leur clientèle ! On a tous les trois passé des tests physiques et psychosociaux. Les membres de l’équipe ont constaté que notre projet était sain. On a donc pu aller de l’avant. »

Vincent et Gabriel ont fait appel à une donneuse d’ovules.

« La clinique avait un catalogue dans lequel les donneuses affichaient leur profil. Les couples infertiles peuvent ainsi choisir selon certains critères physiques, pour que l’enfant à naître leur ressemble un peu. »

Claudia, de son côté, a dû recevoir des injections d’hormones pour relancer son cycle menstruel et augmenter l’épaisseur de son endomètre utérin.

Une première implantation de deux embryons n’a rien donné. Une deuxième non plus.

« À ce moment-là, j’étais un peu fatiguée par les injections et les nombreux allers-retours à Toronto qu’il fallait organiser chaque mois en fonction de mes cycles. J’ai demandé qu’on prenne une pause d’un mois. »

Quand est arrivé le moment du troisième essai, Claudia a suggéré qu’on implante trois embryons au lieu de deux.

« J’avais 46 ans, on était déjà à la troisième tentative. Je me disais qu’on pouvait tenter la chance. »

Le médecin était du même avis. Sept jours après l’intervention, premier élan d’enthousiasme : la prise de sang montrait que les hormones n’avaient pas chuté. C’était bon signe. Le second examen sanguin a confirmé que les taux continuaient d’augmenter. « À partir de ce moment-là, on savait que j’étais enceinte. » Restait à confirmer combien de bébés avaient fait leur nid.

Claudia se souvient avec précision de l’échographie qui a suivi. L’écran montrait deux poches. Et à l’intérieur de chacune, un point clignotant.

Deux coeurs qui battaient déjà.

« On était tellement heureux ! Mes enfants nous attendaient à la maison. Je m’en souviens comme des moments de grande joie. »

Le suivi de grossesse a eu lieu au Québec. La mine radieuse et le ventre rebondi de Claudia suscitaient des questions. Auxquelles elle répondait avec franchise : oui, elle était enceinte, mais non, les enfants qu’elle portait n’étaient pas les siens.

« J’en parlais très ouvertement, en expliquant que j’étais mère porteuse pour mon frère et mon beau-frère. J’ai toujours senti beaucoup d’ouverture de la part des gens. Et jamais de jugement. »

Claudia a vécu une grossesse magnifique, sans nausées ni fatigue.

« J’en étais à 35 semaines et je pratiquais encore le yoga. J’ai fait un peu de diabète, mais sans plus. Pendant tous ces mois, mon fils et ma fille étaient présents, ils parlaient à leurs cousins à travers mon ventre. Ce sont des bébés qui ont été chouchoutés dès le départ. »

Les papas étaient là à chaque échographie.

« Ce sont eux qui repartaient avec les petites photos des bébés. Ils lisaient plein de bouquins, ils étaient très impliqués. Rapidement, ils ont donné un nom à leur fille et leur garçon. »

La naissance, par césarienne planifiée, a eu lieu à Ottawa, pour des considérations légales.

« Les papas ont pu, tous les deux, être là en salle d’opération. Les jumeaux sont nés après 37 semaines de gestation. Ils pesaient chacun sept livres et étaient en pleine forme. Tout s’est vraiment bien passé. »

Évidemment que le souvenir de cette journée-là est touchant. Et rempli d’émotions. Accueillir enfin les jumeaux, c’était un moment magique. C’était aussi couper le cordon. Au propre comme au figuré.

« Mon frère et son chum prenaient soin des bébés, ma soeur m’accompagnait à l’hôpital. Dans les jours qui ont suivi l’accouchement, il y a eu des petites montagnes russes émotives, en raison des hormones qui fluctuent après un accouchement, mais c’est le seul moment qui a été un peu plus difficile et ça a vite été derrière moi. »

L’aventure humaine a été grande et belle. Elle continue de l’être. Claudia me parle avec beaucoup d’affection de ses « poussins », qui commenceront l’école primaire en septembre. La famille continue d’être tissée serrée.

« On ne vit pas dans la même ville, mais quand on se voit, c’est toujours un grand bonheur. Moi, tu vois, je ne pouvais pas aller creuser un puits en Afrique ou partir en mission en Haïti. Mais porter un enfant pour qu’un couple puisse goûter au bonheur d’être parents, ça, je m’en sentais capable. C’est mon geste de coeur, mon oeuvre humanitaire à moi. »

« On ne vit pas dans la même ville, mais quand on se voit, c’est toujours un grand bonheur. Moi, tu vois, je ne pouvais pas aller creuser un puits en Afrique ou partir en mission en Haïti. Mais porter un enfant pour qu’un couple puisse goûter au bonheur d’être parents, ça, je m’en sentais capable. C’est mon geste de coeur, mon oeuvre » humanitaire à moi.

— Claudia

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