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«C’EST LA DOUCEUR ET L’AMOUR QUI CHANGENT LE MONDE »

MYLÈNE MOISAN mmoisan@lesoleil.com

Un de ces soirs où ses blues ne passaient plus dans la porte, Sébastien Poirier a une idée qui peut avoir l’air saugrenue, il allait se déguiser en poulet et donner de l’amour à de purs inconnus.

Un flash, comme ça. C’était il y a quatre ans environ. « J’étais tout seul dans le sous-sol, c’était plate à mourir. Mais au lieu de rester là à pleurer ma vie, je suis allé voir sur Internet pour chercher des costumes de mascotte, j’en ai trouvé un à Montréal, je suis allé le chercher. » Un gros poulet jaune, 100 $. « J’ai enfilé le costume et puis je suis allé sur la Grande Allée… l’amour que j’ai reçu là ! Il y a même quelqu’un qui m’a transporté sur ses épaules à travers la foule, j’ai capoté ma vie ! »

Il est revenu chez lui, heureux. Et il a recommencé. « Quand j’avais un coup dur, je sortais en mascotte pour apporter du bonheur et de la joie autour de moi, pour offrir des colleux aux gens. Ça peut paraître égoïste, mais pour moi, quand tu fais du bien, l’amour que tu partages gratuitement, il te revient plus qu’au centuple. »

Quand il se promène, Sébastien ouvre les bras chaque fois qu’il croise quelqu’un. « Je leur dis, “tu veux un colleux” ? Il y en a certains qui se tournent, ils ne veulent pas, mais il y en a beaucoup qui courent vers moi ! Ça fait tellement du bien ! Je me promène avec de la musique, les gens dansent, ça les rend heureux ! »

Il a son circuit qu’il fait au moins une fois chaque semaine, il arpente tout le Vieux-québec jusque dans le Petit Champlain. « Ça me prend entre trois et cinq heures. » Il est tout le temps arrêté. « Il y a en qui font la file, il y en a qui me demandent pour prendre une photo avec moi ! »

Depuis son premier poulet, il s’est acheté six autres mascottes, puis il choisit celle qu’il portera au gré de son humeur. Il y a Mickey Mouse « qui est très populaire », Elmo, Big Bird, Spider-man, un hibou et Scooby-doo que « le monde aime bien ». La mascotte est un prétexte. Parce que la vie de Sébastien aurait très bien pu s’arrêter il y a 21 ans, sur cette même Grande Allée où il est sorti la première fois costumé en poulet. Ce soir de juin 2000, après une soirée trop arrosée, il s’est fait battre sauvagement, avant de se faire renverser par une voiture.

Quatre mois dans le coma, « deux mois et demi de chaise roulante. J’ai dû tout réapprendre, à marcher, à parler. »

Au détour, Sébastien a perdu son sens de l’inhibition. « Je me sers de cette séquelle pour aborder les gens, pour leur parler. Les gens aiment ça qu’on prenne le temps de jaser avec eux, mais ils sont parfois gênés. J’ai fait de cette séquelle une force. »

Pour faire le bien autour. Mais il y a une victoire dont il est plus fier encore. « Ça fait plus d’un an que je ne bois plus d’alcool, depuis le 1er juillet 2020, et sept mois que je ne prends plus de drogue par intraveineuse. J’étais sur un programme de méthadone, j’ai tout arrêté, je suis libéré de tout ça. Le goût est parti. »

C’est grâce à Dieu. « J’ai rencontré une amie, elle était pleine de douceur. Grâce à elle, j’ai compris que Dieu avait de l’amour pour moi, et je me suis pardonné. »

Sébastien sait qu’il a fait souffrir beaucoup de monde autour de lui, dont Louise, cette femme qui a pris soin de lui, sa mère. « C’est elle qui a été là pendant toutes mes frasques de drogue et d’alcool. Elle a tellement prié pour que je sois délivré de ça. »

Le 16 juillet, Louise est partie, emportée à 71 ans par une récidive d’un cancer du sein. « Depuis le mois d’avril, ils avaient arrêté les traitements de chimio, son corps ne pouvait plus en prendre. Les deux derniers jours, elle ne refermait plus ses yeux et puis vendredi après-midi, elle les a fermés, elle a arrêté de respirer. Elle est partie se reposer. »

Elle aura vécu assez longtemps pour voir ses prières exaucées, pour voir Sébastien sobre, enfin. « Je suis tellement content que ma mère ait pu me voir heureux comme ça. De toute ma vie, je n’ai jamais été aussi heureux. »

Tellement de bonheur qu’il en donne.

Le soir du décès de sa mère, Sébastien aurait très bien pu rester chez lui à pleurer. Il a fait comme la première fois, comme chaque fois où il a un coup dur. Ce vendredi-là, il a pris son costume rouge pétant d’elmo de Sesame Street. « Je disais aux gens que ma mère était décédée dans la journée, que j’avais besoin de mettre un baume sur ma tristesse. Ce n’était pas pour être pris en pitié, mais pour donner de l’amour et en recevoir. »

L’amour, pour faire contrepoids à la mort. « C’est la douceur et l’amour qui changent le monde. Il n’y a pas d’autres choses que ça. »

«

J’étais tout seul dans le sous-sol, c’était plate à mourir. Mais au lieu de rester là à pleurer ma vie, je suis allé voir sur Internet pour chercher des costumes de mascotte, j’en ai trouvé un à Montréal, je suis » allé le chercher.

— Sébastien Poirier

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