LeQuotidienSurMonOrdi.ca

Une leçon du Déluge

DANIEL CÔTÉ dcote@lequotidien.com

L’Histoire constitue un éternel recommencement. Au moment où la région soulignait le 25e anniversaire du Déluge, des tragédies similaires endeuillaient l’allemagne, la Belgique et la Chine. Partout, des torrents de boue. Le chaos. La désolation. Parce que nous avions revu les images captées chez nous en 1996, ces tragédies nous ont davantage interpellés. Nous nous sommes rappelé à quel point les humains ne pèsent pas lourd, lorsque la nature échappe à leur contrôle.

Ce sont des circonstances où, plus que jamais, les personnes en autorité doivent garder la tête froide. Face à un ennemi aussi puissant, il faut se comporter comme le chasseur qui n’aurait qu’une balle pour arrêter l’ours qui veut lui sauter dessus, toutes griffes dehors. L’unique option consiste à mobiliser les ressources là où ça compte, aussi rapidement que possible, et c’est ce qu’a fait le maire de Chicoutimi, Ulric Blackburn, aux premières heures de la crise.

Cette journée-là, je l’avais d’abord rencontré au poste de police du boulevard de l’université. À l’heure du midi, déjà, il était clair que le quartier du Bassin représentait un secteur sensible. Comme on ne pouvait plus maintenir à 400 mètres cubes par seconde le débit du barrage Portage-des-roches, des policiers avaient été appelés en renfort, tandis que des autobus filaient vers le Centre Sacré-coeur afin de transporter les personnes évacuées au Centre Georges-vézina.

Dans un premier temps, les rues Gédéon, Taché et Bossé avaient été ciblées par les autorités. « S’il y a un débordement, on élargira », m’avait dit le maire, d’un ton aussi posé qu’à la fin d’une séance routinière du conseil. Telle était sa manière et même quand je l’ai revu derrière le barrage Price, au début de l’aprèsmidi, son attitude était demeurée inchangée. Le réservoir approchait du point de saturation, mais la rivière Chicoutimi semblait rester à l’intérieur de ses limites. Du moins, le croyait-on.

C’est seulement quand l’un de ses collaborateurs a dit que le débit avait augmenté pour la peine, qu’on ne tarderait pas à en percevoir les effets au Bassin, qu’ulric Blackburn avait laissé filtrer un reste d’inquiétude. Il n’a rien dit, cependant. Seul son regard a trahi sa pensée, le temps d’une poignée de secondes, puis le naturel est revenu. Il a recueilli d’autres informations, calmement, avant de se diriger vers les centrales Pont-arnaud et Chute-garneau, que la rivière menaçait de submerger.

Notre dernière rencontre avait eu lieu au Centre Georges-vézina, aux alentours de 20 h. À ce moment-là, le torrent débordait de chaque côté du barrage Price, pendant que les rues voisines de l’église Christ-roi se couvraient d’eau. « C’est assez impressionnant. Je ne sais pas si on a déjà vu ça », m’avait confié le maire, avant de souligner la résilience des évacués. « Ils sont inquiets, mais prennent bien ça, avait-il indiqué. Nous leur avons dit qu’ils seraient bien traités. »

À La Baie et Laterrière, pendant ce temps, les maires Claude Richard et Françoise Gauthier affichaient le même courage tranquille. Ils étaient au front comme tout un chacun, conscients de leurs limites, mais déterminés à faire une différence. Ce fut agréable de les voir réapparaître cette semaine, à la faveur des commémorations. Même après un quart de siècle, leur émotion était perceptible.

Bien sûr, aucun leader civique ne détient de pouvoirs magiques face à une catastrophe de l’ampleur du Déluge. Tous commettent des erreurs. Tous se sentent impuissants, dans une certaine mesure. Ce qui caractérise les meilleurs d’entre eux, en fin de compte, c’est leur capacité de travailler en équipe, leur esprit de décision, ainsi qu’une réelle empathie.

Aujourd’hui comme en 1996, ce sont des qualités précieuses, qu’il vaut la peine de rechercher parmi ceux qui briguent les suffrages. À l’ère du dérèglement climatique, elles sont plus importantes que jamais.

ÉDITORIAL

fr-ca

2021-07-24T07:00:00.0000000Z

2021-07-24T07:00:00.0000000Z

https://lequotidien.pressreader.com/article/281809991923690

Groupe Capitales Media