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VERS UNE CUEILLETTE RESPONSABLE

GUILLAUME ROY JOURNALISTE DE L’INITIATIVE DE JOURNALISME LOCAL groy@lequotidien.com

Alors que plusieurs reportages ont présenté les mauvaises pratiques de récolte du thé du Labrador au cours des dernières années, la cueillette commerciale a pris de la maturité et les règles mises en place favorisent désormais une récolte plus durable. Plongeon dans le monde de la récolte commerciale du thé du Labrador.

À près de 80 kilomètres au nord de Girardville, dans le secteur du lac Rond, Tony Paré marche sur un parterre de coupe qui a été récolté il y a une dizaine d’années. Autour de lui, la kalmia et le thé du Labrador tapissent le sol. « Je te mets au défi de trouver des signes de la récolte que j’ai faite hier », lance le directeur de l’approvisionnement de Labrador Production, une entreprise de Girardville qui fait la vente et la transformation d’essences boréales.

Cette année, à peine une poignée de cueilleurs de thé du Labrador sont à l’oeuvre, alors que dans les meilleures années, Labrador Production faisait affaire avec une cinquantaine de cueilleurs indépendants. « Il y a un surplus d’inventaires sur le marché, explique Enrico Lavoie, le président de l’entreprise. Pendant la pandémie, certains joueurs ont décidé de réduire les prix. Certaines entreprises, comme la nôtre, ont décidé de conserver leur stock pour obtenir un meilleur prix et c’est ce qui explique les inventaires plus élevés. »

Il semble que plusieurs entreprises sont dans la même situation, car très peu de cueilleurs ou d’entreprises spécialisées dans l’approvisionnement ont des commandes pour cette année. C’est notamment le cas de Richard Lajeunesse, qui a intégré la cueillette de thé du Labrador aux activités de son entreprise, Tekfor, il y a près de cinq ans. « C’est très tranquille cette année, dit-il. Au lieu d’avoir huit cueilleurs, on en a seulement deux. »

Même son de cloche pour le Groupe Boréaressource, une filiale de la Coopérative forestière Ferland-boilleau.

Le principal marché pour de gros volumes de thé du Labrador est destiné à la transformation, pour en faire des huiles essentielles. Chez Labrador Production, près de 90 % du volume récolté, en moyenne 150 000 livres par an, est destiné à l’huile. « C’est un marché de niche, parce que l’huile est chère et précieuse, note Enrico Lavoie. En plus, il y a eu beaucoup de nouveaux joueurs, ce qui a augmenté la compétition sur les prix et créé la situation que l’on vit en ce moment. » En vrac, l’huile du thé du Labrador vaut habituellement près de 1600 dollars par kilogramme.

Cette année, la totalité de la récolte prévue, à peine 15 000 livres, ira à des clients qui font la vente de tisanes.

DE RETOUR EN FORÊT

En marchant sur les traces de Tony Paré, il est impossible de voir où il a prélevé la plante convoitée. « On récolte seulement la pousse annuelle, dit-il. Tous les cueilleurs reçoivent une formation obligatoire et on doit obligatoirement avoir un permis du ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs (MFFP) pour faire la récolte. »

La réglementation sur la cueillette du thé du Labrador a été mise en place en 2020 par le MFFP pour favoriser la récolte durable. « Le permis identifie une aire de récolte annuelle qui est spécifique au détenteur du permis, ce qui permet d’éviter les conflits entre les différents utilisateurs sur le territoire et une meilleure harmonisation des usages », explique Sylvain Carrier, relationniste de presse au MFFP. Quatre entreprises ont obtenu six permis en 2020.

« C’était vraiment le ‘‘free for all’’ au début », se souvient Enrico Lavoie, qui travaillait à l’époque pour la coopérative forestière de Girardville, qui avait fait des pressions pour que Québec légifère sur la récolte.

Plusieurs histoires ont circulé dans les médias et des histoires d’horreur circulaient dans le milieu des cueilleurs. « Il y a de gros joueurs qui exportent vers l’europe ou aux États-unis qui ne se souciaient pas trop de l’éthique et de la qualité, soutient Luc Godin, propriétaire de Champignons boréal, qui fait aussi la récolte de petits lots de thé du Labrador sur les terres privées. C’était un peu le bordel dans les forêts du Saguenay-lac-saint-jean avec des trucks de 53 pieds pleins de thé du Labrador qui sortaient tous les deux ou trois jours. »

Selon ce dernier, il est difficile de confirmer à quel point la cueillette est désormais plus durable, car il ne fait pas la récolte en forêt publique. En tant que vice-président de l’association pour la commercialisation des produits forestiers non ligneux, il doute de la réglementation imposée par Québec. « Ça ne change pas grand-chose, parce qu’il y a encore plein de cueilleurs qui récoltent sans permis », souligne l’homme qui croit que les redevances devraient être plus élevées que 20 dollars par tonne. Selon les informations reçues par Luc Godin, la problématique de récolte abusive se serait déplacée en partie en Mauricie.

Malgré tout, il estime que la professionnalisation des entreprises du secteur a une influence positive sur la qualité de la récolte et sur les pratiques durables. « Plein de monde veut me vendre du thé du Labrador, mais j’en achète seulement à ceux que je peux former à l’interne », dit-il.

Des histoires d’horreur, Richard Lajeunesse en a aussi entendu plusieurs, mais il n’a jamais été témoin des pratiques abusives dont il a entendu parler, et ce, même s’il travaille en forêt depuis très longtemps. « C’est important de faire une cueillette durable et c’est facile à vérifier quand on ouvre les sacs des cueilleurs », dit-il.

De plus, la très grande majorité des permis de récolte octroyés par Québec se trouve sur d’anciens parterres de récolte et sur des sites de forêts brûlées. Une dizaine d’années après la récolte ou le passage du feu, le thé du Labrador occupe une bonne partie du territoire. Quand la forêt reprendra ses droits, la plante sera déplacée par d’autres espèces plus tolérantes à l’ombre.

« Le thé du Labrador est une espèce colonisatrice qui arrive après une perturbation, comme le bleuet et la kalmia », souligne Enrico Lavoie. Ainsi, il n’est généralement pas nécessaire de retourner au même endroit pour faire une cueillette, environ trois ans plus tard, car il y a amplement de nouveaux territoires avec de bons potentiels de récolte qui émergent chaque année. La cueillette s’étend généralement de la mi-juillet à la fin août.

Il est toutefois plus difficile de permettre une récolte durable dans les tourbières, où la plante est implantée pour de bon. « Si quelqu’un coupe la plante en entier dans ces endroits, elle ne se régénérera pas et c’est pourquoi on n’y fait aucune récolte », poursuit Enrico Lavoie.

Selon ce dernier, la certification Écocert ajoute un niveau de vérification, ce qui permet d’assurer, en partie, une récolte plus durable. « Chaque sac de thé du Labrador est identifié à un cueilleur et si la qualité n’est pas bonne, le cueilleur est immédiatement avisé », dit-il.

« Si on veut encore être en business dans le futur, c’est important pour nous et pour nos cueilleurs de protéger la ressource. On est une entreprise locale et on ne veut pas saccager nos forêts. C’est une ressource renouvelable et on a tout intérêt à en prendre soin », ajoute-t-il.

Malgré les améliorations apparentes, Luc Godin estime qu’il faut demeurer vigilant lorsque la reprise de la récolte retrouvera son plein régime, probablement l’an prochain, lorsque les inventaires seront écoulés.

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2021-07-24T07:00:00.0000000Z

2021-07-24T07:00:00.0000000Z

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