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DOSSIER | Le point sur les mères porteuses

JONATHAN CUSTEAU jonathan.custeau@latribune.qc.ca

SHERBROOKE — Le droit familial du Québec diffère de celui de toutes les autres provinces canadiennes en matière de gestation pour autrui (GPA). En conséquence, certains couples québécois préfèrent prévoir en Ontario la naissance de leur enfant issu d’une femme porteuse. Le processus au Québec est-il vraiment plus compliqué?

« Plusieurs femmes choisissent d’accoucher à Ottawa parce que c’est vu comme étant plus simple. Certaines ont l’impression que la GPA est illégale au Québec, ce qui n’est pas le cas », assure d’entrée de jeu Isabel Côté, titulaire de la chaire de recherche du Canada sur la procréation pour autrui et les liens familiaux et professeure à l’université du Québec en Outaouais.

Dominique Goubau, avocat et professeur titulaire à la faculté de droit de l’université Laval, le confirme : « Nous avons dans le Code civil une disposition disant que les ententes de GPA sont nulles de nullité absolue. Ça ne veut pas dire que c’est illégal, mais qu’un contrat ne peut pas être exécuté par la force. Même si une femme refuse de transmettre l’enfant à la naissance, on ne peut pas demander aux tribunaux d’intervenir. »

La loi sur la procréation assistée interdit par ailleurs la rémunération de la femme porteuse.

Cindy R. Wasser, avocate ontarienne collaborant avec des agences de GPA, considère que la loi ontarienne simplifie les choses pour les parents d’intention. « La loi en Ontario dit que dès que l’enfant est né, vous en êtes les parents et vous avez le droit de prendre des décisions médicales pour les enfants. C’est dans l’intérêt de l’enfant de donner les droits aux deux parents. »

Au Québec, deux hommes ne peuvent faire reconnaître leur paternité sans passer devant les tribunaux. Si les Québécois ne composent qu’une petite partie de sa pratique, ils sont souvent des couples gais souhaitant voir d’emblée leurs deux noms sur le certificat de naissance. « Le processus administratif est plus facile parce qu’il ne faut pas aller devant le tribunal. »

Doreen Brown, avocate en droit familial, indique néanmoins qu’il n’est plus obligatoire, depuis 2017, d’inscrire le nom de la femme qui accouche sur l’acte de naissance. « Avant, l’enfant possédait la génétique de la femme porteuse, ce qui n’est souvent plus le cas aujourd’hui. »

Si certains voient plus d’avantages à organiser la naissance du bébé en Ontario, Doreen Brown apporte quelques nuances. Selon elle, l’adoption au Québec par le deuxième membre du couple est relativement simple et peut présenter des avantages. « Un couple québécois qui se rend en Ontario et qui revient avec les deux noms sur l’acte de naissance pourra bénéficier du congé parental. Mais si on procède à l’adoption, le parent non biologique peut obtenir un congé exclusif de 37 semaines. »

JURISPRUDENCE

Un juge peut-il refuser d’accorder l’adoption ? « La Cour ne peut plus refuser l’adoption par les parents d’intention depuis que j’ai gagné en cour d’appel », dit Doreen Brown.

En 2009, le juge Michel Dubois avait refusé à une femme d’adopter son enfant né d’une femme porteuse. « Il ne voulait pas faire indirectement ce que la loi ne permettait pas. Mais la Cour d’appel a clairement rejeté cette approche. L’enfant n’a pas à subir les conséquences du choix des adultes. Il devrait avoir le droit d’être adopté si c’est dans son intérêt », dit Dominique Goubau.

Doreen Brown a plaidé la première cause semblable après le jugement Dubois. « Deux hommes avaient choisi une femme porteuse en Californie et elle avait eu des jumelles. À la fin du processus, le juge a dit que tous les enfants ont les mêmes droits, nonobstant les circonstances de leur naissance. »

M. Goubau, lui, cite des « cas limites » où les juges pourraient trancher en défaveur des parents, même si ce n’est pas encore arrivé. « Il y a des cas limites, comme ces parents qui avaient versé

Si les Québécois ne sont qu’une petite partie de la pratique de Me Cindy R. Wasser, ils sont souvent des couples gais souhaitant voir d’emblée leurs deux noms sur le certificat de naissance. — ARCHIVES LA TRIBUNE, JESSICA GARNEAU

plus de 30 000 $ à une femme indienne. Il y a de l’hypocrisie dans tout ça. Des compensations peuvent être données pour les pertes subies, mais il suffit d’aller sur les sites d’agence pour voir que c’est une activité lucrative. On dira toutefois que ce sont des frais pour les services donnés. »

Il n’existe aucun cas où une femme aurait refusé de remettre l’enfant à l’issue de la grossesse, selon Isabel Côté. « Les recherches en contexte canadien ne relèvent pas de cas. À l’inverse, il y a une seule situation où le couple n’est pas venu chercher les enfants. »

Enfin, Mona Greenbaum, directrice de la Coalition des familles LGBT+, mentionne que le processus de GPA est possible au Québec. « Le Centre de reproduction de Mcgill fait la GPA. C’est un peu plus compliqué qu’en Ontario, où les agences offrent un clé en main. Mais même après la législation, ça restera une méthode de procréation dispendieuse. On parle de dépenses de 80 000 à 100 000 $. »

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2021-07-24T07:00:00.0000000Z

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