VIEILLES PIERRES TOMBALES PORTÉES DISPARUES

« C’est fréquent que d’anciens lots aient vu leur pierre tombale être enfouie dans le lot même. » — François Chapdelaine, de l’association des cimetières chrétiens du Québec

Avez-vous déjà prêté attention aux dates de décès inscrites sur les pierres tombales lors de vos visites dans un cimetière? Celles datant d’avant 1900 se font rares, a pu constater un amateur de généalogie. Quand les disparus disparaissent à nouveau...

Jacques Noël, enseignant à la retraite de Charlesbourg, est parti en mission généalogique durant la dernière année. « L’idée m’est venue de regarder mes huit arrière-grands-parents, où est-ce qu’ils sont enterrés, et d’aller voir de quoi ç’a l’air », raconte-t-il.

La quête de M. Noël aboutit dans un cul-de-sac pour trois de ses aïeuls décédés avant 1920, dont son arrière-grand-père, Joseph Verret, enterré en 1895 au cimetière Saint-ambroise-de-la-jeune-lorette.

Le généalogiste passionné a eu beau arpenter les allées, le nom d’un Joseph Verret mort en 1895 n’apparaît sur aucune pierre tombale de la vieille section du cimetière Saint-ambroise-de-lajeune-lorette, dont les sépultures endommagées et alignées dans un ordre approximatif témoignent du temps passé depuis la fondation de la première chapelle, en 1795.

M. Noël possède l’acte de sépulture, trouvé sur le site Familysearch, qui confirme que son arrière-grand-père repose quelque part dans le cimetière de Loretteville. Mais le numéro de lot manque à l’appel. Comme Joseph Verret est décédé avant 1900, la fabrique de la paroisse ne possède pas d’informations dans son système informatique sur l’emplacement ou l’état de la sépulture de l’ancêtre de Jacques Noël.

« Je suis sûr que mon cas n’est pas unique, souligne M. Noël. Le défi que je peux lancer aux gens, c’est : faites une recherche vous-mêmes, cherchez où sont vos arrièregrands-parents ». Il est convaincu que, comme lui, les gens ne trouveront pas leurs ancêtres. Amateur de généalogie depuis des décennies, il a visité plusieurs cimetières du Québec et dit avoir constaté le faible nombre de pierres tombales datant d’avant 1900.

DE NOMBREUSES HYPOTHÈSES

La fabrique de Saint-ambroise-dela-jeune-lorette confirme la difficulté de retrouver l’emplacement de la sépulture de l’arrière-grand-père de Jacques Noël. La raison en est fort simple, nous dit-on : les numéros de lots n’étaient pas notés avant 1900. « Dans les années antérieures, c’était des poignées de mains entre le curé et la famille », illustre Francine Guay, directrice générale de la paroisse Saint-ambroise-de-lajeune-lorette. Les actes de sépultures, il était obligatoire de les écrire dans un livre, mais il n’y avait pas de numéro de lot. »

Quatre possibilités pourraient expliquer la disparition de la pierre tombale de l’ancêtre de M. Noël. La première, c’est que la famille n’avait tout simplement pas fait installer de pierre tombale lors de l’enterrement de Joseph Verret. La deuxième, c’est que la sépulture est toujours là, dans le cimetière de 2000 lots, mais trop discrète. « J’ai l’impression que probablement que l’épitaphe doit être là quelque part, mais tellement vieille qu’on ne peut pas lire dessus », explique Huguette Boulé, secrétaire de la paroisse.

La pierre tombale pourrait également avoir été retirée par souci de sécurité. Les familles sont responsables d’entretenir les sépultures de leurs défunts, mais lorsque le monument est laissé à lui-même, la fabrique peut agir. « Quand on voit que c’est trop dangereux, trop périmé, on ne les jette pas, elles sont placées au sous-sol du presbytère », précise Huguette Boulé. Certains cimetières enterrent également les sépultures lorsqu’elles sont trop endommagées. « C’est fréquent que des anciens lots aient vu leur pierre tombale être enfouie dans le lot même », confirme François Chapdelaine, président de l’association des cimetières chrétiens du Québec.

Les monuments très endommagés sont souvent illisibles. Les familles sont toujours avisées avant qu’une pierre tombale soit retirée. Mais parfois, les descendants sont injoignables ou encore non-inscrits aux actes de sépulture lorsque le décès date de dizaines d’années.

La dernière option est la plus inusitée. Joseph Verret pourrait reposer en dessous de l’église. L’église Saintambroise-de-la-jeune-lorette a été victime de deux incendies et reconstruite en 1908 et en 1967. Elle aurait été rebâtie sur une partie de l’ancien cimetière. « Il y a quelques lots qui sont en dessous de l’église. Mais on n’a rien pour nous dire qui est-ce qui est là », mentionne Mme Boulé.

Une chose est certaine, la tombe qui contient les ossements de

Joseph Verret est toujours au cimetière Saint-ambroise-de-la-jeunelorette. Après 99 ans, les cimetières peuvent reprendre le droit d’usage d’un lot. « Un jour, il peut avoir d’autres familles qui vont utiliser les lieux », précise François Chapdelaine. Les responsables du cimetière ne retirent cependant jamais une tombe. « Elle est là, assure la secrétaire de la paroisse, Mme Boulé. La seule chose qu’on ne peut pas dire, c’est où. »

Jacques Noël entame une dernière tentative afin de retrouver la pierre tombale de son ancêtre. Il a fait la demande d’une recherche généalogique approfondie à la paroisse, avec les noms et les dates de décès des autres membres de la famille Verret enterrés dans le cimetière. « Faut que je rentre dans les voûtes et que j’aille vérifier toutes les archives de l’époque », explique Mme Guay, la directrice générale. C’est certain qu’il va avoir des frais à cette recherche. »

UNE SITUATION EXCEPTIONNELLE

Il y a des sépultures datant d’avant 1900 dans les cimetières du Québec selon M. Chapdelaine. « J’en gère quelques-uns des cimetières à Québec et il y a plein de pierres plus anciennes que ça, assure-t-il. Mais c’est sûr qu’il y a des monuments qui résistent mal au temps. »

Des quêtes comme celle du généalogiste Jacques Noël sont plus exceptionnelles, note-t-il. En général, les défunts dont la tombe a glissé dans l’oubli... demeurent dans l’oubli.