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RUÉE VERSL’EAU

Alors que les plaisanciers se multiplient sur le fleuve Saintlaurent, la Garde côtière connaît une forte hausse d’appels à l’aide au Québec

MARC ALLARD mallard@lesoleil.com

Le conducteur de la motomarine s’amusait à faire des acrobaties et des vagues autour du bateau de ses amis dans l’anse au Foulon, une baie tranquille où des familles ont l’habitude de jeter l’ancre.

Le directeur général du Yacht Club de Québec, André Blais, l’avait à l’oeil, et il n’était pas content. Quand le jeune homme en wetsuit est venu faire une pause sur la plage privée du club nautique de la marina de Sillery, M. Blais est allé lui demander d’arrêter d’embêter les plaisanciers et de partir.

Il a eu droit à un doigt d’honneur.

« C’était la pointe de l’iceberg », lance André Blais, qui affirme avoir été témoin de plusieurs comportements imprudents sur le fleuve depuis juin. Cet été, le club nautique a d’ailleurs embauché une firme de sécurité privée pour patrouiller dans l’anse au Foulon.

Avec l’explosion des ventes de bateaux durant la pandémie et les marinas au bord du fleuve remplies un peu partout au Québec (voir autre texte), les plaisanciers se ruent sur le Saintlaurent. Mais des navigateurs d’expérience craignent que cet afflux fragilise la sécurité nautique sur le fleuve.

« Les plaisanciers n’ont jamais été aussi peu en sécurité que cet été », estime Gaël Simon, instructeur de voile chevronné et organisateur du Rallye-croisière Québec-rimouski.

Pas étonnant, selon lui, que la Garde côtière canadienne enregistre au Québec une hausse importante des appels à l’aide.

En date du 12 juillet, l’augmentation des appels de détresse était de 81 % par rapport à la même date en 2020. Pour tous les types d’appels — du chavirement à la panne d’essence, en passant par les fausses alertes —, la Garde côtière a enregistré une hausse de 56 % entre l’été dernier et cet été.

Juste avant les vacances de la construction, la Garde côtière auxiliaire, un réseau de marins bénévoles formés en recherche et sauvetage maritime, avait épaulé la Garde côtière une centaine de fois de plus qu’au même moment l’été passé, indique son directeur général pour le Québec, Louis Melançon. « On est clairement en avance par rapport à l’année dernière », dit-il.

À quoi attribuer cette hausse ? La Garde côtière remarque qu’il y a plus de plaisanciers sur le fleuve, dont de nombreux nouveaux venus. Mais elle note aussi que les embarcations de plaisance ont été mises à l’eau plus tôt cette année et que le bas niveau du fleuve entre Montréal à Trois-rivières en début de saison a provoqué de nombreux échouements.

DANS LE PÉTRIN

Chose certaine, le téléphone sonne plus souvent. Pour l’ensemble des stations de recherche et de sauvetage au Québec, la Garde côtière avait reçu en date du 12 juillet environ 600 appels à l’aide de plus qu’au même moment l’été dernier.

Mais le profil des appels n’a pas changé. Cas classique : la panne d’essence. « On a plusieurs incidents où c’est simplement des gens qui n’ont pas vérifié leur niveau de carburant et là ils se retrouvent dans une situation fâcheuse », dit Aurélie Côté, responsable du sauvetage maritime pour la région de Québec à la Garde côtière.

Les erreurs de navigation restent aussi fidèles au rendez-vous. Des plaisanciers cassent l’hélice de leur bateau en frappant une roche à marée basse. Ils essaient de prendre un raccourci avec un niveau d’eau trop bas et s’enlisent. Ils s’aventurent à l’extérieur du chenal balisé et leur bateau s’échoue sur un haut fond.

Parfois, leur bateau risque même de couler. Le 20 juin, un MAYDAY a été diffusé sur les ondes pour signaler que trois plaisanciers étaient en détresse sur le fleuve, à Québec. L’eau avait commencé à entrer dans leur bateau de 18 pieds. La Garde côtière a effectué le sauvetage et a remorqué l’embarcation jusqu’au bassin Louise.

D’autres plaisanciers ont plongé malgré eux dans le fleuve. Le 1er juin, un kitesurfeur a fait une mauvaise manoeuvre et a dû larguer sa voile à la hauteur de Sainteanne-de-beaupré. Il a été secouru par la Garde côtière. Le 8 juin, une chaloupe a chaviré près de Saintlaurent-de-l’île-d’orléans, jetant trois hommes dans la vingtaine à l’eau. Ils ont été secourus par la Garde côtière auxiliaire.

« Au moins, ces gens-là portaient une veste de sauvetage, donc ça leur a permis de survivre jusqu’à l’arrivée des sauveteurs », raconte André Audet, président de la Garde côtière auxiliaire pour le Québec. En juin, l’eau du fleuve reste froide et les risques d’hypothermie sont encore élevés.

« ANALPHABÉTISME NAUTIQUE »

Si certains plaisanciers sont malchanceux, d’autres sont victimes de leur méconnaissance de la navigation.

Gaël Simon, qui est aussi consultant chez Stratégie Nautique, qui offre de la formation en voile et des conseils aux plaisanciers, croit que de nombreux accidents sur le fleuve pourraient être évités si l’« analphabétisme nautique » ne sévissait pas autant.

« Les gens achètent un bateau et ils ne réalisent pas que c’est quelque chose de compliqué, que le fleuve Saint-laurent c’est un plan d’eau compliqué. Ils se disent que c’est comme un char de location, qu’ils vont tourner la clé et figurer comment ça marche en s’en allant », dit-il.

Avec ses marées, ses courants, la météo qui peut changer brusquement et la forte présence de navires commerciaux, le fleuve est un des cours d’eau les plus difficiles à naviguer, selon la Garde côtière canadienne.

Gaël Simon raconte qu’il a reçu plusieurs appels cet été de gens qui lui demandaient de ramener un bateau qu’ils venaient d’acheter loin de leur port d’attache. Ils avaient essayé de le faire eux-mêmes, mais avaient été secoués par le fleuve.

En discutant avec eux, M. Simon a réalisé qu’il leur manquait des connaissances élémentaires de navigation sur le fleuve. « Ils n’ont aucune idée qu’il y a des courants de marée, dit-il. Ils n’ont aucune idée, même, qu’il y a des marées. »

Pour conduire un bateau, une motomarine ou une chaloupe sur le fleuve ou n’importe quel autre plan d’eau, les plaisanciers doivent posséder une carte de conducteur d’embarcation de plaisance délivrée par Transports Canada.

Ceux qui souhaitent l’obtenir peuvent suivre une formation sur Internet et doivent passer un examen théorique de Transports Canada en ligne. Mais une fois sur les plans d’eau, cette formation s’avère souvent insuffisante, remarque Guylain Noël, instructeur à Formation Nautique Québec, une école de voile à la marina du Parc nautique Lévy, à Lévis.

L’afflux de plaisanciers a fait augmenter l’incompétence sur le fleuve, remarque M. Noël. « Il y a beaucoup plus, à mon avis, de personnes qui sont sur l’eau aujourd’hui qui manquent de connaissances. »

Sur le canal 16 de la bande marine VHF, qui est la fréquence de détresse et d’appels en radiotéléphonie, Guylain Noël entend des plaisanciers qui demandent l’aide de la Garde côtière, par exemple pour un bris de moteur. Plusieurs fois, il a été frappé par l’absence de rudiments de navigation.

« Ils appellent la Garde côtière, qui leur dit “jetez votre ancre”, raconte M. Noël. Et ils répondent : “oui, mais c’est quoi ça, une ancre ? Comment ça marche ? ” »

Directeur général du Parc nautique Lévy, l’illustre skipper Georges Leblanc estime que la cohabitation se déroule relativement bien entre les nouveaux et les anciens plaisanciers. Mais il note lui aussi que certains néophytes font preuve d’un excès de confiance qui crée des problèmes, par exemple des collisions lors de l’amarrage aux quais.

Georges Leblanc suggère aux nouveaux plaisanciers de suivre des cours de navigation ou d’être accompagnés d’un moniteur au moins au début. C’est une étape importante, aussi, pour les autres passagers qui montent dans l’embarcation, souligne M. Leblanc.

« Si tu fais peur à toute ta famille, dit-il, ils ne voudront plus venir avec toi. »

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