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AU SECOURS, LES TALIBANS SONT DE RETOUR !

JEAN-SIMON GAGNÉ jsgagne@lesoleil.com

Un séisme géopolitique. Un vrai. Vingt ans après avoir été chassés du pouvoir par les États-unis et par leurs alliés, les talibans sont de retour au pouvoir en Afghanistan. Ils assurent qu’ils ont «changé». Ils promettent de « tout pardonner». Faut-il les croire? Un résumé des débuts mouvementés du nouvel « Émirat islamique d’afghanistan ».

La liste des dictatures les plus insensées de l’histoire s’allonge à l’infini. Le despote turkmène Saparmourat Niazov renommait les mois du calendrier en l’honneur de sa mère. Le Guinéen Francisco Macías Nguema faisait jouer la musique du film Mary Poppins lors des exécutions publiques. Les généraux birmans interdisaient aux peintres de représenter les couchers de soleil, de peur que cela puisse symboliser la fin de leur dictature!

Sur ce palmarès ultra compétitif, le régime instauré par les talibans en Afghanistan, de 1996 à 2001, occupe pourtant une place de choix. Les fous d’allah interdisent notamment les échecs, le cinéma et la musique. En public, les femmes doivent porter la burqa, une sorte de tente bleue qui couvre le corps de la tête aux pieds. À Kaboul, des malheureuses sont battues parce qu’elles ne portent pas de chaussettes. Ô scandale, on aperçoit leurs chevilles ! 1

Vrai que les talibans avaient rétabli l’ordre, après des années de chaos. Mais à quel prix ! Même les cerfs-volants et les ours en peluche étaient interdits !

TOUT EST PARDONNÉ?

Dans ces conditions, on comprendra que le retour au pouvoir des talibans suscite de vives inquiétudes. Difficile d’oublier le châtiment réservé à l’ex-président communiste Najib Najibullah, lors de la prise de Kaboul, en 1996. Le « suppôt de Satan » avait été battu, émasculé et traîné dans les rues. On l’avait achevé d’une balle dans la tête avant de pendre son cadavre à un réverbère…

Aujourd’hui, les talibans se disent « plus posés », « plus expérimentés ». Mais ils admettent qu’ils ont été surpris par la chute ultrarapide de Kaboul, le 15 août. Comme tout le monde, ils sous-estimaient l’impopularité des dirigeants en place. En l’espace de quelques heures, les talibans paradaient dans les rues au volant de véhicules blindés américains, tels des Wisigoths brandissant la couronne de César.2

À Kaboul, les premiers pas du régime ont été chaotiques, mais moins sanglants que prévu. Dans les hôpitaux, les talibans séparent les employés féminins et masculins. Ils exigent que les infirmières portent le voile intégral. Selon Matthieu Aikins, du New York Times, les violences étaient plutôt rares, du moins en public. « […] Difficile de dire s’il s’agit d’actes commandités par [les talibans]. » 3

Autour Mazar-é Charif, dans le nord du pays, le correspondant de la BBC raconte que les talibans ont éliminé tous les points de contrôle où des policiers corrompus « taxaient » la population. Ils ont aussi déposé quatre cadavres criblés de balles, en plein centreville. Une affiche les décrit comme des « kidnappeurs » …4

LE CÔTÉ SUCRÉ DES MINI-WHEATS

Les talibans ont-ils changé ? Seul l’avenir le dira. En attendant, leur porte-parole, Zabihullah Mujahid, se veut le visage rassurant du nouvel émirat. L’équivalent du côté sucré des Mini-wheats. Monsieur promet une administration « moderne », même si les nuances semblent difficiles à saisir. Prenez la musique, par exemple. Avant, les talibans l’interdisaient. Ils cassaient la figure de ceux qui en écoutaient. Aujourd’hui, ils veulent encore éliminer la musique, mais sans avoir à recourir à la « coercition ».

Côté pile, Zabihullah Mujahid soutient que la démocratie est

« incompatible » avec les principes de l’islam. Côté face, il assure que les talibans vont respecter la liberté de presse. « Les reportages [...] aideront à corriger les erreurs des dirigeants », a-t-il assuré sans rire à Reporters sans frontières.5

Ah, oui ? Au même moment, les talibans arrêtaient deux journalistes qui couvraient une manifestation pour les droits des femmes, à Kaboul. Les malheureux ont été battus à coups de câbles et de bâtons. Et on leur a fait comprendre qu’ils étaient chanceux. Avant, ils auraient été décapités…6

CHICANE AU SOMMET

Selon la BBC, une dispute a éclaté lors de la distribution des ministères, au début du mois de septembre.7 Une rumeur persistante annonçait la mort du vicepremier ministre Abdul Ghani Baradar, le négociateur en chef des talibans lors des pourparlers avec les États-unis. On ne l’avait pas vu depuis plusieurs jours.8

Pour clarifier la situation, les nouveaux maîtres de Kaboul ont publié un enregistrement audio du vice-premier ministre. Ça n’a pas suffi. Il est vrai qu’avec eux, on ne sait jamais. De 2013 à 2015, le décès de Mohamed Omar, le fondateur du mouvement taliban, avait été soigneusement camouflé. Le défunt endossait même les pourparlers de paix, par voie de communiqué !

Finalement, le vice-premier ministre Baradar est réapparu. Du genre : « L’annonce de ma mort est très exagérée. » Il a démenti les histoires de querelles. Il a répété que le gouvernement est plus uni « qu’une famille ». Encore un peu, et Monsieur s’écriait « Fake news ! ».10

Après tout cela, on oublie presque que les talibans ont mis de côté leur promesse de gouvernement « inclusif ». Pas une seule femme ! Et la quasi-totalité des ministres appartient au noyau dur du mouvement ! 11 Last but not least, le ministre de l’intérieur n’est nul autre que Seraj Haqanni, le chef du puissant réseau Haqanni, que les États-unis associent à plusieurs attentats. Le Département d’état américain offre une récompense de 10 millions $ à quiconque fournira des informations conduisant à son arrestation ! 12

LE RÉCHAUFFEMENT, UN ALLIÉ DES TALIBANS ?

Depuis des années, les talibans tiraient profit de la situation impossible de l’afghanistan. Aujourd’hui, c’est eux qui doivent gérer un pays traumatisé par 43 ans de guerre. Un pays exsangue, qui consacre 40 % de son budget à la sécurité et à la défense. Un pays rongé par la corruption, où huit millions de dollars sortent clandestinement du pays, chaque jour.13

Difficile à croire, mais il y a pire. Plusieurs régions sont ravagées par une sécheresse prolongée. L’été 2021 pourrait s’imposer comme le plus sec depuis 30 ans.14 Environ 14 millions d’afghans ne mangent pas à leur faim.15 L’activité humaine aggrave encore les choses. À la fin des années 1890, les forêts couvraient plus de la moitié du pays. Aujourd’hui, elles représentent 2 % du territoire…

La sécheresse constitue une calamité dans un pays où plus de la moitié de la population tire ses revenus de l’agriculture. Mais elle a bien servi la guérilla que menaient les talibans. Jusqu’au bout, ils ont profité du désarroi des agriculteurs qui se sentaient abandonnés par le gouvernement. En moyenne, en Afghanistan, l’activité agricole rapporte un dollar par jour. Les talibans offraient 5 à 10 $.16

«LA BANQUE N’OUVRIRA PAS AUJOURD’HUI »

De nombreux économistes prédisent désormais l’effondrement de l’économie afghane.17 Les Étatsunis retiennent 9,4 milliards $ de ses réserves d’or et de devises. Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont gelé leurs prêts. L’union européenne a suspendu un programme d’aide de 1,5 milliard $.

Les caisses du pays sont vides. On manque de billets de banque, faute d’une imprimerie adéquate. À Kaboul, le 14 septembre, un journaliste du Monde a décrit les gardiens exaspérés de la New Kabul Bank qui dispersaient sans ménagement des clients rassemblés devant l’institution. Quelques-uns dormaient sur place depuis trois jours, dans l’espoir de retirer quelques billets...

Vous en voulez d’autres ? La plupart des employés de la Banque centrale d’afghanistan ont pris la fuite. Le nouveau directeur, Mohammad Idris, était auparavant chargé de prélever les « taxes » qui finançaient la guérilla. Des activités qui s’apparentaient souvent à la gérance d’un « racket de protection ».19

En résumé, l’économie afghane ressemble à un bateau dont le moteur tombe en panne, alors qu’il navigue en haut des chutes du Niagara. Et alors que l’embarcation se dirige à toute vitesse vers les chutes, les passagers constatent avec horreur qu’ils ont oublié les rames...

UN S.O.S. DES NATIONS UNIES

À Washington ou ailleurs, bon nombre de gens préféreraient ne plus entendre parler de l’afghanistan. En oubliant que l’abandon complet du pays n’irait pas sans risques. Des millions de gens désespérés pourraient prendre la route de l’exil, comme lors de la guerre civile en Syrie.

Les Nations Unies ont lancé un appel à l’aide. Plus de la moitié de la population afghane a besoin d’aide humanitaire pour survivre. L’an prochain, si la tendance se maintient, jusqu’à 97 % des Afghans se retrouveront sous le seuil la pauvreté.20 Le 15 septembre, les pays donateurs de L’ONU se sont engagés à verser 1,2 milliard $. Est-ce que cela suffira ?

Pour s’en sortir, les talibans pourraient se tourner vers les revenus de la drogue, qui représentent 1,9 milliard $.21 Ou s’en remettre au commerce avec la Chine, promue au rang de partenaire commercial « principal ».22 Mais il apparaît douteux qu’ils assouplissent leurs positions en matière de droits des femmes en échange d’argent. On sait déjà que les Afghanes ne pourront pas faire de sport. Leur présence à l’université ne tient qu’à un fil. Un certain nombre d’intellectuelles n’osent même plus sortir de chez elles.23

Quelle différence entre les talibans 2.0 et un pitbull bien élevé, demandent désormais les cyniques ? Aucune. Les deux ont la délicatesse de vous redonner le bras qu’ils viennent de vous arracher.

Notes

(1) «Afghanistan, 1996 L’an I des talibans », Le Monde, 23 août 2021. (2) «The Taliban is Flaunting Captured U.S. Weapons that May be Worth Billions. Can it Use Them?» The Washington Post, 20 août 2021.

(3) « How Will the Taliban Rule This Time ? » The New York Times, 7 septembre 2021.

(4) «Afghanistan: Life under Taliban Rule One Month on», bbc.com, 16 septembre 2021.

(5) «Triumphant Taliban Start Putting Policies into Practice», Agence Francepresse, 9 septembre 2021.

(6) «Kaboul: deux journalistes afghans arrêtés et battus par les talibans», Agence France-presse, 7 septembre 2021.

(7) «Afghanistan: Taliban Leaders in Bust-up at Presidential Palace, Sources Say», bbc.com, 14 septembre 2021. (8) « Questions in Kabul as Two Top Taliban Leaders “Missing From Public View” », The Guardian, 14 septembre 2021

(9) «Taliban Admit Covering up Death of Mullah Omar», bbc.com, 31 août 2015.

(10) «Taliban Co-founder Reemerges to Challenge Reports of Internal Strife among Militants», The Washington Post, 15 septembre 2021.

(11) « Opinion : The Taliban Shows What it Means by “Inclusive”. The Time for American Wishful Thinking Is Over», The Washington Post, 8 septembre 2021.

(12) www.fbi.gov/wanted/terrorinfo/ sirajuddin-haqqani

(13) «MP’S: “8 Million Ebezzled Daily” at Customs », Tolo News, 20 mai 2021. (14) «Climate-fragility Risk Brief: Afghanistan, Climate Security Expert» Network/chatham House, 30 octobre 2019.

(15) «Severe drought threatens three million Afghans», Norwegian Refugee Council, 9 juin 2021.

(16) «Afghanistan: comment les talibans ont tiré parti du changement climatique », Libération, 5 septembre 2021.

(17) «Will the Taliban Regime Survive?» Brookins, 31 août 2021.

(18) «Désespoir et misère dans les rues de Kaboul », Le Monde, 15 septembre 2021.

(19) «Taliban Name Acting Head of Central Bank as Economic Turmoil Grows », Reuters, 23 août 2021. (20) «Economic Instability and Uncertainty in Afghanistan after August 15», United Nations Development Program, 9 septembre 2021.

(21) « Les talibans à l’épreuve du pouvoir », L’express, 9 septembre 2021. (22) « Taliban : “La Chine sera notre principal partenaire”», Agence Anadolu (Ankara), 2 septembre 2021.

(23) «Afghan Cyclist’s Fears Realized as Taliban Aims to Forbid Women from Playing Sport», cnn.com, 8 septembre 2021.

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