Histoires de coeur

Àla fin d’une campagne électorale dont nous avions autant besoin que d’un deuxième dessert, un fait divers capte l’attention. On a volé le coeur du premier évêque du diocèse de Chicoutimi, Monseigneur Dominique Racine. Déposée dans une urne, près du choeur de la cathédrale, la précieuse relique aurait été subtilisée dans la nuit de mardi à mercredi.

Ce crime motivé par la cupidité, mais commis par pure ignorance, est survenu à la suite d’une incursion dans le local de la Société Saint-vincent de Paul, où une somme de 400 $ a été dérobée. Quand on connaît la mission de cet organisme, on mesure la perfidie du geste. C’est comme si on s’en était pris aux plus pauvres d’entre les pauvres – remplacez ce mot par « démunis », si telle est votre préférence.

En soi, il s’agit d’une histoire intéressante, mais si on trace un lien entre la vie de Monseigneur Racine et l’actualité récente, elle prend une autre dimension, puisque le passé interpelle le présent. Un jeu de miroirs qui donne raison à Louis Hémon d’avoir mis ces mots dans la bouche de Maria Chapdelaine : « Au pays de Québec, rien n’a changé. Rien ne changera. »

Prenez le dossier de la santé. Dans le livre Évocations et témoignages, Monseigneur Marius Paré rend hommage à son illustre prédécesseur. Il rappelle, entre autres, dans quelles circonstances celuici a fondé l’hôpital de marine de Chicoutimi en 1884. « Les débuts furent vraiment difficiles. L’on se trouva souvent dans le dénuement », peut-on lire.

La communauté était si mal organisée qu’avant l’ouverture de l’hôpital, les marins qui tombaient malades devaient être hébergés par des familles pour recevoir des soins. Détail qui fait sourire, au moment où le Bloc québécois dénonce l’ingérence dans les juridictions québécoises, c’est le fédéral qui avait financé les travaux.

Comment ne pas tracer un parallèle entre ces temps héroïques et la dégradation des soins à l’hôpital de Roberval, dont le symptôme le plus visible est la démission de tant d’infirmières ? Quand la MRC du Domaine-du-roy réclame la décentralisation des pouvoirs, non seulement a-t-elle raison, mais ce désir témoigne d’une saine volonté de prendre son destin en main. C’était méritoire en 1884. Ça l’est encore de nos jours.

S’agissant de la rivière Péribonka, on retrouve deux visions du monde auxquelles pourrait s’identifier l’ancien évêque. « Il avait constaté que ce peuple qu’il servait généreusement avait grandement besoin qu’on l’aidât non seulement au plan spirituel, mais aussi au plan matériel, souvent intimement liés l’un à l’autre », souligne Monseigneur Paré.

Ceux qui reprochent à Québec d’avoir annulé les coupes forestières pour cette année ont également un oeil sur le matériel, mais les partisans de la préservation ne sont pas en reste. Eux qui invoquent le potentiel du tourisme vert savent-ils que Monseigneur Racine est associé à l’érection de la statue de la Vierge sur le cap Trinité ? C’est d’ailleurs lui qui a béni, le 15 septembre 1881, cet attrait qui fait le bonheur des kayakistes.

Un autre défi auquel nous sommes confrontés est celui de l’unité. C’est une lacune à l’échelle de la région et aussi de la ville de Saguenay, cette créature administrative qui, à l’inverse du Moyenorient, a trop de territoire et pas assez d’histoire. La rivalité entre les anciennes villes demeure vivace, en effet, comme nous le rappelleront les élections municipales.

Il existe pourtant un lien symbolique fort en la personne de Monseigneur Racine. Dès son arrivée au Saguenay, en 1862, il fut à la fois curé de Chicoutimi et missionnaire de la colonie de la Rivière-aux-sables, qui rêvait d’accéder au statut de paroisse. Sensible à cette volonté, il avait habilement manoeuvré afin que l’archevêque de Québec donne son accord en 1866.

Ce n’est pas pour rien qu’à Chicoutimi, la mémoire de cet homme est perpétuée par la rue Racine, une artère majeure, et par l’église Saintdominique, à Jonquière. Son coeur était plus grand que toutes les urnes du monde.