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Brûler le passé !

KONRAD SIOUI CHRONIQUE Collaboration spéciale

Je me souviens que lorsque j’étais enfant, à l’externat fédéral de Wendake, j’avais toujours une profonde crainte d’entendre soeur Saint-alphonse nous demander d’ouvrir nos livres d’histoire. Les images que l’on nous montrait me faisaient frémir tellement elles étaient monstrueuses. Nos ancêtres mangeaient cru le coeur du père de Brébeuf pendant que le père Jogues, au poteau de torture, se faisait brûler vivant et que le frère René Goupil se retrouvait avec la tête fendue en deux pendant qu’il était caché à l’orée du bois, en train de montrer le signe de la croix à un jeune garçon.

Nous avons grandi avec ces images qui nous ont hantés longtemps et ces récits que nous devions lire et apprendre sur nos ancêtres. Puis, ces livres ont disparu graduellement des étagères et des bibliothèques, pour faire place à de nouveaux écrits et de nouvelles images qui, bien que toujours misérabilistes, permettaient à cette autre génération de mieux connaître qui sont les Premières Nations au Québec et d’avoir un aperçu de leur mode de vie contemporain. Les écoles provinciales avaient maintenant fait le geste honorable de mieux nous décrire et de mieux aider les lecteurs à nous connaître et à nous apprécier, espérions-nous.

Aujourd’hui, bien des torrents d’eau ont coulé sous les ponts depuis ces épisodes douloureux de notre aventure collective. Nous voulons écrire nousmêmes les différents pans de notre histoire et nous n’acceptons plus que quiconque se mêle impunément de notre vécu en interprétant avec peu d’acuité les différentes facettes de nos traits culturels en tant que Nations distinctes. Nous parlons pour nous-mêmes, tel que nos aînés nous l’ont enseigné.

Maintenant, comme nous en avons été témoins dernièrement, certaines personnes se trouvent des vocations tardives de missionnaires modernes et se déguisent « en Autochtones » afin de répandre la bonne nouvelle. Elles vont même jusqu’à occuper des postes-clés au sein de différentes institutions politiques et conseillent nos élus sur l’approche à prendre en matière sociale, culturelle ou économique. Elles proposeront de brûler tous les livres qui pourraient colporter une quelconque connotation discriminatoire. Elles s’autoproclament Autochtones et se trouvent une supposée origine au sein d’une ou l’autre de nos Premières Nations. Elles deviennent aussi des shamans-guérisseurs qui, pour quelques centaines de dollars, peuvent soigner presque tous les maux. Elles mettent sur pied des organisations fantoches qui n’ont comme prémisse que de faire, à grands frais, de la fausse représentation et d’induire en erreur les pauvres disciples qui, naïvement, seront tombés dans le panneau des hurluberlus.

Toutefois, ne nous méprenons pas sur la question de l’appartenance à nos Nations. Nous sommes toujours dirigés par le bureau fédéral du registraire à Ottawa, qui applique sa loi dite de « terminaison ». Après deux générations consécutives d’union mixte, avec un ou une non-première Nation, nous ne sommes définitivement plus sur la liste officielle d’enregistrement à Ottawa.

Ainsi, cette dame qui, du haut de sa chaire, a lancé l’appel à la destruction des différents livres de comiques et des bouquins qui utilisaient des épithètes pouvant comporter un caractère discriminatoire à l’endroit des Premières Nations, n’aurait jamais dû être entendue, et surtout pas écoutée. Elle s’est immiscée sans scrupule dans nos vies et s’est permis d’appuyer des actions qui n’ont pas reçu l’aval de nos leaders, qu’ils soient nos aînés, nos sages-femmes ou nos gardiens des valeurs.

Ces documents sont le reflet de différentes périodes qui appartiennent à hier, qui servent à nous rappeler par où nous sommes passés et qui nous font comprendre la lutte que nous avons menée pour atteindre un tant soit peu de respect et de reconnaissance. Ce n’est pas en brûlant ces vestiges ou en en détruisant les traces, pas trop lointaines, que nous allons pouvoir, comme société moderne et ouverte sur le monde, finaliser l’étape si nécessaire de la réconciliation. Les Québécois, comme Nation, expérimentent souvent des enjeux similaires aux nôtres et deviennent plus que jamais des alliés objectifs indispensables dans la défense d’une culture et d’une langue à protéger comme le bien le plus précieux.

Enfin, il est important d’indiquer à ceux et celles qui n’ont peu ou pas de vécu au sein de nos Premières Nations et qui viennent à peine d’être inscrits de faire preuve de modestie et de retenue lorsqu’ils sont invités à s’exprimer en notre nom à tous, sur des sujets jugés sensibles et très délicats. Nous procédons à notre rythme aux changements dont la source est coloniale, incluant celui sur la Loi sur les Indiens et nous fonctionnons avec notre propre agenda, sans ingérence indue.

Nous avons, en tant que société, toutes et tous une responsabilité face à notre Terre mère, qui que nous soyons. Prenons soin du bien commun et ne laissons personne mettre ses intérêts personnels avant ceux de la collectivité.

Ces documents sont le reflet de différentes périodes qui appartiennent à hier, qui servent à nous rappeler par où nous sommes passés et qui nous font comprendre la lutte que nous avons menée pour atteindre un tant soit peu de respect et de reconnaissance. Ce n’est pas en brûlant ces vestiges ou en en détruisant les traces, pas trop lointaines, que nous allons pouvoir, comme société moderne et ouverte sur le monde, finaliser l’étape si nécessaire de la réconciliation.

CHRONIQUE

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2021-09-18T07:00:00.0000000Z

2021-09-18T07:00:00.0000000Z

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