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UNE NOUVELLE FAÇON DE VIVRE LA MODE

Valérie marcoux vmarcoux@lesoleil.com

Dans un monde où l’on peut avoir des conversations vidéo affublé d’oreilles de chats grâce à un filtre, faut-il s’étonner de l’arrivée des vêtements digitaux ? Pour les créateurs, il s’agit d’une manière de libérer leur créativité des contraintes physiques. Pour les écologistes, une solution verte pour remplacer le fast-fashion. Pour l’individu, une nouvelle façon de se transformer et d’affirmer son identité.

En 2020, plusieurs défilés de mode ont eu lieu en version numérique en raison de la pandémie. Un an plus tard, il n’y a pas que les défilés qui sont virtuels : les vêtements le sont aussi ! Au printemps 2021, Auroboros a marqué l’histoire, à la Semaine de la mode de Londres, en y présentant pour la première fois une collection de vêtements 100 % digitaux.

« Libérée de toute contrainte matérielle et de tout déchet, la collection numérique Biomimicry, qui s’adresse à tous les corps et à toutes les tailles, invite chacun à se plonger dans le monde utopique d’auroboros », indiquent les créateurs sur leur site.

Peu après la Semaine de la mode, en juin dernier, Auroboros a rendu disponible un filtre sur Snapchat pour essayer gratuitement Venus Trap, l’une de leurs créations présentées ce printemps. Autrement, ce vêtement digital est offert au prix de 475 £ (825 $CAD).

« C’est très concret en ce moment, ce qui se passe en Europe. J’ai l’impression que dans les prochains mois ou années, ça va devenir encore plus concret ici », estime Jean-philippe Harrisson-boudreau, expert en commerce de la mode et chargé de cours à l’école supérieure de mode de l’école des sciences de la gestion de l’université du Québec à Montréal (ESG UQAM).

COMMENT ÇA FONCTIONNE ?

Au moment de l’achat d’un vêtement digital, le site d’auroboros demande de soumettre une photo de soi en haute définition sur laquelle le corps et ses membres se discernent facilement. On recommande de porter des vêtements ajustés, de la même couleur que notre peau si possible, et d’arquer les pieds si on désire porter des talons hauts. Un technicien-designer s’occupe ensuite d’ajuster le vêtement à cette image. Le résultat est livré en trois à cinq jours ouvrables.

Certains sites acceptent également les vidéos, comme Dressx, où on retrouve plusieurs grands joueurs de cette nouvelle industrie. Notamment The Fabricant, connu pour ses partenariats avec des marques populaires telles PUMA et Tommy Hilfiger. Dressx a d’ailleurs lancé cet été une application qui permet d’essayer plus facilement les vêtements en vente sur sa plateforme. Sans s’abonner, il est tout de même possible de procéder gratuitement à l’essayage de quelques tenues en réalité augmentée.

À l’instar des vêtements traditionnels, certains morceaux sont produits en plusieurs exemplaires ; d’autres sont des pièces uniques. Les créations sont portées ou collectionnées, comme des oeuvres d’art. D’ailleurs, comme pour l’art numérique, cette innovation est soutenue par la reconnaissance des NFT, un outil de cryptomonnaie. « C’est tout à fait lié au NFT, un protocole pour posséder un bien, le collectionner et potentiellement l’échanger ou le revendre à d’autres », explique Jean-philippe Harrisson-boudreau.

La haute couture embrasse également cette tendance. En s’associant avec Tribute Brand, Jean-paul Gaultier a présenté ses premiers vêtements digitaux, cet été. Le public a pu notamment voir une de ses créations portée sur les réseaux sociaux par Symone, la drag queen gagnante de la treizième saison de la série télévisée Rupaul’s Dragrace. « Il y a une accélération depuis le mois de mai qui est sensationnelle. Les joueurs sont en train de se placer et de se connecter ensemble », commente l’expert en commerce de la mode.

DURABLE ET INCLUSIVE

« Il y a beaucoup de groupes interpellés par l’environnement qui sont en train d’embrasser la mode virtuelle. »

— Jean-philippe Harrisson-boudreau

« Il y a beaucoup de groupes interpellés par l’environnement qui sont en train d’embrasser la mode virtuelle », souligne M. Harrisson-boudreau.

Ceux-ci soutiennent que la mode digitale est plus écoresponsable que des vêtements physiques, lesquels doivent être fabriqués avec des ressources – elles-mêmes produites et transportées –, puis distribués, et éventuellement jetés. Sans parler des retours. « Les taux de retour en mode sont de 20–25 %. C’est énorme quand on parle d’empreinte environnementale ! Si une commande sur quatre est retournée, c’est de la logistique et un emballage de plus, alors que là, on n’a pas à se préoccuper de si ça va me faire ou pas et quelle sera mon allure une fois le vêtement sur moi. Virtuellement, de façon instantanée, je peux le porter. »

Et puisque ces vêtements s’adaptent à tous les corps, la mode digitale est également populaire chez les personnes transgenres, non binaires ou qui ne veulent simplement pas limiter l’expression de leur identité par des frontières genrées en matière d’habillement et de mode. « Les gens vont trouver une identité plus facile à exprimer, plus immédiate à exprimer. Se transformer virtuellement est beaucoup plus facile », ajoute M. Harrisson-boudreau.

Les créateurs aussi profitent de l’immédiateté facilitée par cette innovation technologique, qui les libère des contraintes accompagnant la création et la commercialisation d’un vêtement physique. « Je parlais avec une créatrice de mode importante à l’échelle mondiale et je lui ai

demandé : “Combien de temps ça va te prendre pour finaliser cette création ? ” Elle m’a répondu qu’elle en avait encore pour un an et demi. Je lui ai dit : “Imagine si on collabore avec un artiste virtuel ? ” On pourrait plus rapidement donner vie à sa création et accélérer la diffusion de son talent de façon assez spéciale », raconte l’expert.

« Malgré cette option, certaines créations virtuelles exigent autant de temps et de travail qu’un vêtement physique. J’ai vu des créations où les gens ont passé des dizaines de milliers d’heures à les créer à l’aide d’ordinateurs. Il y a certaines créations de haute couture qui demandent la même minutie que si on avait des artisans et des couturières. […] On retrouve cette même tradition dans le monde de la haute couture virtuelle, indique M. Harrisson-boudreau. Au-delà d’un changement technologique, c’est un changement sociétal. »

AFFAIRES

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2021-09-18T07:00:00.0000000Z

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