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Ma première fois

NORMAND BOIVIN nboivn@lequotidien.com NORMAND BOIVIN

Je soupçonne ma collègue de chronique Patricia de m’en vouloir. Car demander à un journaliste qui soulignera ses 40 ans de carrière le 8 mai prochain quelle fut son entrevue la plus marquante, il y a de quoi donner des maux de tête, vous en conviendrez.

D’autant plus qu’être journaliste en région, ça comporte un gros avantage sur les collègues des médias nationaux. On n’a pas de chasse gardée. Donc, on fait de tout. Pas tous les jours, mais au fil du temps. Ma carrière, qui a commencé à CJMT le jour où Gilles Villeneuve s’est tué, m’a amené à faire du général et tout ce que ça comporte, des sports et un peu – très peu – des arts.

Alors, vous imaginez que mon crayon en a vu défiler du monde. Du meilleur et du pire, incluant tous les premiers ministres du Canada et du Québec depuis 1982, dont les éphémères Joe Clark, John Turner, Kim Campbell, Pauline Marois et les frères Johnson. Tous ? Non. Pas Stephen Harper, le gars qui détestait les journalistes – quand il était majoritaire. La seule fois où je l’ai vu, c’était de loin, à sa dernière visite à la Base militaire de Bagotville. Au début, son équipe m’avait contacté pour que j’envoie un photographe, mais les journalistes n’étaient pas invités. J’avais répondu que pas de journaliste, pas de photographe ni caméraman. Les photographes et les caméramans n’écrivent pas d’articles. Finalement, les journalistes avaient été admis, mais dans un enclos, sans micro pour poser des questions. Harper était passé à côté de nous sans nous regarder.

Parmi cette faune politique, il faut bien avouer que je suis fier d’avoir rencontré des personnages passés à l’histoire comme Pierre Elliott Trudeau, Brian Mulroney, René Lévesque, Bernard Landry, Jacques Parizeau et Lucien Bouchard, pour ne nommer que ceux-là.

Qui donc choisir dans la liste dont ma vieille tête grise se remémore à coups d’efforts ?

Je me souviens qu’à mes débuts au Quotidien, dans les années 80, j’avais rencontré un pauvre type qui avait été amputé des bouts des pieds et des doigts à cause d’engelures. Employé dans une pourvoirie, il avait été oublié à l’automne et était revenu en plein hiver à pied. Ça marque, quand même.

Mon vol en CF-18 en octobre 1997 pour traverser le mur du son avec le pilote Éric « Gigi » Girard, afin de souligner le 50e anniversaire du vol historique de Charles « Chuck » Yeager le 14 octobre 1947, est-ce que ça compte ?

Faire des entrevues avec des gens qui ont réalisé des choses exceptionnelles, comme ma première rencontre avec Julie Payette, à l’école internationale de Kénogami, après sa sélection comme future astronaute, ou avec Chris Hadfield, après son premier voyage dans l’espace, en 1995, où il m’avait gentiment dédicacé sa photo avec l’équipage de STS-74 pour mon fils de 7 ans avec les mots « Poursuis tes rêves », ce qu’il a fait, sans oublier le commandant Piché, que j’ai interviewé en octobre 2004, une belle source de motivation pour continuer ce métier.

Parfois, on est confrontés à des drames terribles ; la grosse misère humaine. Le défi est de rester stoïque malgré nos sentiments, comme le soir où le triathlète Pierre Lavoie, en pleurs, m’avait appelé au journal pour m’annoncer la mort d’un deuxième enfant, emporté par l’acidose lactique, ou ma rencontre avec Josée-anne Desrochers, la mère du petit Daniel, tué par une bombe des Hells en août 1995, venue présenter son livre.

Des fois, c’est un peu rock’n roll. Lors de la construction du gazoduc dans la région, j’avais fait un dossier sur le contrôle que la FTQ exerçait sur la formation des soudeurs haute pression, les seuls habilités à travailler sur l’installation du gaz. J’avais eu une invitation à aller rencontrer André Dédé Desjardins au local du syndicat à Jonquière. Il avait été courtois, mais m’avait « expliqué des choses ».

Quand je pense à toutes ces années, chaque personne rencontrée, que ce soit un héros, une célébrité, un truand ou un simple citoyen m’a apporté quelque chose, car c’était quelqu’un d’intérêt pour le lecteur.

Mais mon plus beau souvenir, celui qui m’a marqué parce que c’est peut-être ça qui m’a donné le dernier élan pour embrasser la carrière de journaliste, c’est ma première rencontre avec Robert Bourassa.

C’était à l’automne de 1979. J’étais étudiant en science politique à l’université Laval et Bourassa, revenu de son exil en Europe après sa défaite en 1976, venait donner le cours de politiques économiques. Carol Néron, alors directeur de l’information au Progrès-dimanche, me suggère de faire une entrevue avec lui. À cette époque, je fréquente encore la salle de rédaction, où j’avais travaillé trois ans comme préposé aux dépêches avant d’aller à Québec.

Était-il sérieux ? Je ne me suis pas posé la question et j’ai relevé le défi.

Je me suis présenté à son bureau et j’ai cogné à sa porte. J’ai alors été vraiment surpris par sa gentillesse et le fait qu’il ait accepté tout de suite de me rencontrer, un flo de 20 ans.

On s’est donné rendez-vous et depuis, je garde précieusement la cassette de cette entrevue qui avait fait la une du Progrès. Je n’étais même pas encore journaliste et je faisais la une avec une entrevue exclusive de l’ancien premier ministre – qui préparait son retour –, la première qu’il accordait depuis sa défaite.

À n’en pas douter, ça m’a aidé à me tailler une place au journal après mes études, quand le rédacteur en chef de l’époque, Denis Tremblay, est venu me chercher à CJMT, en 1983. Et j’ai gardé avec M. Bourassa une amitié qui a duré jusqu’à sa mort.

ENTRE ELLE ET LUI

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2021-09-18T07:00:00.0000000Z

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