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Les enfants ne sont pas des pions

MARC ALLARD mallard@lesoleil.com CHRONIQUE

Dans Le guide de la famille parfaite, le plus récent film de Louis Morissette, le père, est prêt à payer sa fille pour qu’elle excelle en quatrième secondaire.

Pour un A à un examen, Rose empoche 100 $.

Un B ? 50 $.

Un C ? Rien.

« C’est juste qu’on s’est trouvé un petit système pour la garder motivée », justifie le père, Martin, lors d’un souper de famille.

Sur le coup, j’ai bien rigolé en voyant cette scène. Puis, j’ai eu un petit malaise.

De manière peut-être un peu moins flagrante, on est encore beaucoup de parents à recourir allégrement aux récompenses pour motiver nos enfants. On leur offre des figurines s’ils font leurs devoirs sans rouspéter, des jeux vidéo s’ils réussissent leur examen, un voyage s’ils maintiennent une moyenne de 90 % et plus.

Les enseignants jouent aussi à fond avec la carotte et le bâton. Ils apposent des collants dans les agendas, dessinent des bonshommes sourire dans les cases des tableaux de renforcement et promettent des dîners pizza aux élèves assidus. Les enfants indisciplinés sont privés des « activités récompenses » ou, s’ils persistent, collectionnent les retenues.

Comme ce père, joué par Louis Morissette dans Le guide de la famille parfaite, la plupart des parents et des enseignants font appel à ce genre de récompenses de bonne foi, en ayant l’impression que ça aide les enfants à réussir.

Mais ça ne marche pas. Et parfois, ça leur nuit.

C’est un constat auquel la science est arrivée à maintes reprises, me dit Frédéric Guay, professeur à la Faculté des sciences de l’éducation à l’université Laval et titulaire de la chaire de recherche du Canada en motivation, persévérance et réussite scolaires. Mais les récompenses et des punitions semblent tellement scotchées au gros bon sens qu’elles sont dures à décoller.

« Il n’y a pas un enseignant qui utilise les récompenses dans une optique de malveillance, dit M. Guay. C’est dans leur conception ; ils pensent que ça fonctionne, que c’est quelque chose de bien... Ben non, ça ne fonctionne pas ! »

En fait, nuance-t-il, les récompenses peuvent marcher à court terme. Un élève peut se mobiliser pour terminer des résolutions de problème en maths s’il veut avoir le droit de visionner un film le vendredi en classe. Mais son ardeur au travail risque fort de se dégonfler une fois le privilège retiré.

« On n’est pas toujours là à effectuer toutes nos tâches quotidiennes sous la gouverne de la récompense, dit Frédéric Guay. À un moment donné, il faut être proactif, il faut pouvoir agir, il faut pouvoir cultiver ce plaisir d’apprendre pour rendre l’individu autonome dans ses apprentissages. »

La recherche a montré que lorsqu’on est récompensé pour quelque chose, on a tendance à se désintéresser de ce qu’on a fait pour l’obtenir – à perdre le plaisir qu’on retirait de l’activité elle-même.

Le problème des récompenses à l’école, « c’est que pour ceux qui aiment lire, écrire ou faire des mathématiques, ça tue aussi le plaisir qu’ils ont d’apprendre », souligne Frédéric Guay.

Mais pourquoi ?

Chaque enfant a un désir d’être autonome, de se sentir libre d’agir, note M. Guay. Or,

« en donnant une récompense, vous le traitez comme un pion, quelqu’un qu’on déplace sur un échiquier en fonction de ce qui est attendu ».

Selon M. Guay, nous ne sommes pas motivés par les récompenses, mais par le plaisir et le sens inhérents aux activités que l’on effectue – ce qu’on appelle la « motivation intrinsèque ».

L’ennui, bien sûr, c’est que toute discipline – français, maths, science, musique, sports – exige de la pratique, et que la pratique n’est pas toujours une partie de plaisir.

Que faire alors ? Edward Deci et Richard Ryan, deux scientifiques incontournables en matière de motivation scolaire, suggèrent de miser sur des activités qui tendent à combler trois besoins clés de l’être humain : a) l’autonomie b) la compétence et c) l’appartenance.

Si un ado démontre de l’intérêt pour le piano, par exemple, une bonne façon de l’encourager à pratiquer serait de lui laisser déterminer un horaire de pratique, de lui donner des défis juste assez difficiles pour qu’il les réussisse avec un certain effort et de le mêler à d’autres ados avec qui il pourrait avoir du plaisir à jouer – dans un groupe de rock, par exemple.

La pire stratégie serait probablement de lui promettre du temps de jeux vidéo en échange de ses pratiques au piano, ce qui risque de siphonner son intérêt pour l’instrument.

Comme dirait Alanis Morissette, n’est-ce pas ironique ? Mais oui, parfois les récompenses punissent.

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2021-09-18T07:00:00.0000000Z

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