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Une question de timing en Alberta

JONATHAN CUSTEAU jonathan.custeau@latribune.qc.ca CHRONIQUE

« C’est une question de feeling », chantaient Fabienne Thibeault et Richard Cocciante. Quand on visite l’alberta, c’est surtout une question de timing pour savoir si les plus beaux panoramas se déploieront sous nos yeux. Cet été, aux risques de croiser des ours ou de se noyer dans une foule trop dense s’ajoutaient les écrans de fumée qui s’entortillaient tout autour des plus beaux sommets.

La vraie de vraie solution, pour ne pas être déçu, aurait été de planifier de façon serrée pour fréquenter les sites d’intérêt à l’extérieur des heures d’achalandage et, paradoxalement, d’avoir prévu du temps libre pour changer les plans si la fumée se faisait trop présente. Les secteurs brumeux en matinée avaient tendance à se dégager en fin de journée, ou vice versa.

Par exemple, autour de la ville de Banff, dans le parc national du même nom, on peut planifier plusieurs randonnées de quelques heures. Le secteur du lac Minnewanka, un plan d’eau pas tout à fait aussi turquoise que le populaire lac Louise, trônait tout au sommet de ma liste. J’y avais notamment repéré le sentier de Bankhead, qui permet de se promener dans les ruines d’un ancien village minier.

Mais j’ai finalement poursuivi ma route directement jusqu’au plan d’eau, le plus grand du parc national, pour y casser la croûte. Le lac Minnewanka est le seul à être accessible pour les embarcations à moteur. Un sentier de 12 km mène à un point de vue d’où on peut souvent, semble-til, voir des chèvres de montagne.

GARE AUX OURS

Mon enthousiasme a toutefois été freiné par la petitesse du stationnement, où il était presque impossible de trouver un espace vacant, et par les avis de la présence d’ours. Les grosses bêtes sont réputées nombreuses autour du lac, si bien qu’il est conseillé, et parfois obligatoire, de faire des groupes d’au moins quatre randonneurs pour s’aventurer en nature. Les livres sur l’alberta le disent. Les employés des hôtels aussi. Et la signalisation renchérit. Bien

qu’une rencontre avec un ours puisse se transformer en histoire incroyable à raconter au retour, il ne m’apparaissait pas judicieux de risquer l’aventure.

Pour une promenade à pied, ce serait donc le plan B, pas forcément plus judicieux considérant le temps qui courait à grandes enjambées, de visiter le canyon Johnston, à une vingtaine de kilomètres au nord de Banff. Les canyons, ils sont souvent traîtres, puisqu’ils nous proposent d’abord une descente... avant de nous achever sur le chemin du retour, avec une remontée éreintante. On paie a posteriori pour l’exaltation ressentie en début de parcours.

Le canyon Johnston, lui, est plutôt familial et présente une faible dénivellation. Hourra ! C’est ce qui explique un fort achalandage. Il est préférable de s’y rendre tôt en matinée ou plus tard en journée.

J’y étais sur le coup (de gong) de 16 h. Le gong, c’était le tonnerre en écho, caché derrière de lointains nuages cendrés. Les touristes arrivés en même temps que nous se risquaient néanmoins sur les sentiers, en direction, à un kilomètre environ, d’une première chute d’eau. Le chemin, souvent sur une passerelle à flanc de falaise, permet une vue sans pareil sur l’eau cristalline de la gorge. On croirait l’eau si propre qu’on se risquerait presque à en goûter une lampée.

Un étroit tunnel permet aux influenceurs en herbe de s’approcher de la chute pour s’y photographier. Mononcle, qui craignait la colère de Señor Météo, ne s’est pas attardé dans la file beaucoup trop longue et a poursuivi vers la deuxième chute, plus grosse, plus haute, un autre kilomètre plus loin. On dit que les algues qui s’y trouvent, sous l’effet du soleil, créent une espèce de « mur miroitant ». Le chagrin qui commençait à tomber du plafond nuageux ne m’aura pas permis de le constater.

De là, il reste trois kilomètres pour atteindre les pots d’encre (Ink Pots), six flaques d’eau fraîche de couleurs vives allant du vert au bleu, qui constituent l’attraction principale pour quiconque a les rotules assez solides pour 45 minutes de randonnée supplémentaires.

Après la deuxième chute, le sentier quitte la gorge et s’aventure en forêt. Le ciel a d’un coup diminué sa luminosité comme je m’enfonçais sous les feuillages. Le gong rapprochait de minutes ses grondements percutants. J’ai pris conscience que la plupart des touristes avaient rebroussé chemin. J’ai constaté aussi que nous n’étions que deux, sans personne devant ou derrière. Les ours, ça craint le tonnerre autant que les humains ?

LE CALME APRÈS LA TEMPÊTE

Aux tambours qui s’harmonisaient s’est ajoutée une trombe d’eau que les cimes denses ne parvenaient pas à retenir. J’avais tout à coup les galoches dans la flotte, en dedans, et dans la boue, en dehors. L’imperméable suffisait à peine à garder l’appareil photo au sec.

L’envie de rebrousser chemin revenait périodiquement, aussi rapidement qu’un ballon poire qu’on frapperait à répétition. Ils paraissaient soudain loin, ces pots d’encre. Et on n’y verrait probablement pas grand-chose non plus, foi des rares touristes français qui venaient de s’y river le nez. Mais l’orgueil a gagné. Je n’allais pas abandonner en si bon chemin.

Mais voilà, la forêt s’est éclaircie en même temps que le ciel, néanmoins encore gris. La brume léchait désespérément les montagnes avant de s’évanouir. La clairière autour des pots d’encre présentait les rigoles de la rivière dans un accoutrement bien différent de celui de la gorge observée plus tôt.

Malgré le froid relatif qui me gagnait et le manque d’éclat des couleurs des « encriers », le silence presque complet m’apaisait. Le site, normalement achalandé, était désert. Les couleurs qu’on promettait éclatantes semblaient diluées par les averses. L’écho du tonnerre qui s’éloignait et la rivière qui suivait son cours. Pas d’éclat sur les photos. Pas de percée de soleil. Mais j’ai fait la paix avec ma décision d’aller au bout du sentier malgré les conditions exécrables. Si les pots d’encre à eux seuls n’ont pas suffi à me couper le souffle, l’environnement dans lequel ils sont campés, lui, m’a un peu donné l’impression de flotter sur un nuage au bout du monde.

Le chemin du retour s’est fait sans anicroche ni ours. Les sentiers s’étaient vidés. L’averse avait dispersé la file près de la première chute. L’eau cristalline n’était plus. C’était une question de timing.

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2021-09-18T07:00:00.0000000Z

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