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UN MONDE FOU DES ANIMAUX

JEAN-SIMON GAGNÉ jsgagne@lesoleil.com

Les humains sont fous des animaux. Enfin, presque. Ça dépend. La souffrance d’un chaton ou d’un bébé phoque aux yeux larmoyants leur brise le coeur. Mais celle d’un poulet déplumé? Rien n’est moins sûr. Suivez-nous pour un survol de l’amour des animaux, depuis les antidépresseurs pour chien en passant par le lobby du crustacé et les changements apportés au Code civil du Québec. Un monde qui ne cesse de se réinventer.

Les chiffres donnent le vertige. L’amérique du Nord abrite au moins 150 millions de chats et de chiens. (1) À lui seul, le Québec compte plus de 1,8 million de chats et 1,3 million de chiens. (2) Autant vous y faire. Les animaux de compagnie sont partout. Et pour les plus privilégiés, rien n’est impossible.

Sky is the Limit.

D’accord. Le vernis à ongles pour animal n’a rien d’une nouveauté. On connaît moins la machine qui produit des bulles de savon non toxiques, à saveur de bacon. L’animal peut les croquer en toute sécurité. Et que dire de la Licki, une prothèse de caoutchouc qui permet de lécher son chat ? Des heures de plaisir en perspectives…

Pour un 5 à 7 réussi, sachez que l’on trouve du vin non alcoolisé pour les chats. (3) À ne pas confondre avec la bière pour chien, disponible en trois saveurs : boeuf, poulet et porc. Au besoin, pour que votre compagnon se dégourdisse un peu, on conseille les services du robot qui lance des « gâteries » à votre animal. Une vraie fête, je vous dis.

En Amérique du Nord, selon une étude de 2017, 8 % des « propriétaires » de chien avaient fait prescrire des antidépresseurs à leur compagnon canin. (4) Plus de 500 000 Américains ont même payé à leur chien castré une opération visant à lui implanter des testicules en gel de silicone. Le créateur de ce type d’implants, Gregg Miller, précise que ses clients sont des gens « ordinaires », qui veulent que leur animal conserve sa « dignité » et son « estime de soi ». (5)

Qui sommes-nous pour juger ? , demande M. Miller. Oui, qui sommes-nous ?

Défense de lever les yeux au ciel, en signe d’exaspération. Car l’explosion de produits farfelus destinés aux animaux – tout comme les millions d’images de chats partagées sur Internet – constitue seulement la pointe de l’iceberg. Le symptôme de changements profonds dans la manière de voir les animaux. Au cours des dernières années, plusieurs pays ont modifié leurs lois pour que l’animal ne soit plus considéré comme une « chose », mais bien comme un être « sensible ». Une avancée dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences, y compris au Québec.

Le chimpanzé est-il une personne ? Un cheval peut-il poursuivre un humain qui l’a maltraité ? Un macaque peut-il toucher des droits d’auteur ? Signe des temps, la justice doit parfois répondre à ce genre de question. En 2015, un tribunal argentin a octroyé le statut de « personne non humaine » à une femelle orang-outan. Une manière de reconnaître son droit à la liberté, après 20 ans de captivité dans un jardin zoologique (6).

La cause la plus célèbre reste celle de Naruto, un macaque indonésien dont l’autoportrait a fait le tour du monde. Est-ce que les droits de cette image appartenaient au singe ou au photographe qui lui avait tendu l’appareil ? (7) Finalement, la justice américaine n’a pas reconnu la « propriété intellectuelle » du singe. Par contre, l’histoire se termine bien. Bon prince, le photographe verse 25 % de ses droits pour la protection des habitats du macaque en Indonésie.

Aux États-unis, 32 % des adultes voudraient que les animaux bénéficient de droits semblables à ceux des humains. (8) Au risque d’entretenir une certaine confusion. « L’idée d’attribuer le statut d’une personne à un animal peut surprendre, précise Valéry Giroux, coordonnatrice au Centre de recherche en éthique de l’université de Montréal. […] On oublie que la loi reconnaît déjà plusieurs types de personnes. Par exemple, les compagnies sont reconnues comme des personnes morales. Sans avoir exactement les mêmes droits que les personnes humaines. » (9)

Même la religion catholique s’en mêle. Dès les années 70, le pape Paul VI avait suggéré que le Paradis était « ouvert » à toutes les créatures de Dieu. Plus récemment, le pape François en a rajouté une louche, en déclarant le projet de Dieu s’étend « à tout ce qui nous entoure ». (10)

Si votre chat s’écrie « Alléluia », vous saurez pourquoi...

LE CRI DU HOMARD

Petit à petit, les droits des animaux font irruption dans la vie quotidienne. En France, certains emballages de poulet renseignent les consommateurs sur les conditions d’élevage. Une étiquette permet de connaître le

« bien-être » connu par l’animal « de son vivant », sur une échelle allant de « A » (supérieur) à « D » (standard). (11)

La Norvège, la Suisse, la Grande-bretagne, l’australie et la Nouvelle-zélande interdisent désormais de plonger un homard vivant dans l’eau bouillante. (12) Une victoire pour la Crustacean Compassion, surnommée le « lobby du homard ». (13) Pour traiter le crustacé « humainement », on recommande de le congeler 15 minutes, de l’anesthésier ou de le placer dans un « crustastun », une boîte métallique dans laquelle l’animal est vite électrocuté. (14)

À plus de 5500 $ l’unité, le « crustastun » vous coupera peut-être l’appétit. Promis, juré, il vous ôtera l’envie de faire des blagues sur ceux qui entendent le cri du homard plongé dans l’eau bouillante...

Un peu partout, le lobby des animaux ne cesse de grandir. La féroce People for the Ethical Treatment of Animals (PETA) compte neuf millions de membres. En Grande-bretagne, le nombre d’adhérents des organismes de défense des animaux se compare à celui de plusieurs fan-clubs d’équipes sportives. À elle seule, la Société royale de protection des oiseaux rassemble 1,1 million de personnes. Plus que les cinq principaux partis politiques réunis… (15)

En France, 82 % des adultes considèrent la protection des animaux comme une chose importante. Et 47 % indiquent que la question pourrait orienter leur vote, lors de l’élection présidentielle de 2022...

LE SYNDROME DE LA «FACE DE BÉBÉ»

Reste que les animaux ne sont pas tous égaux devant l’opinion. Ainsi, lorsqu’il s’agit de susciter la sympathie et de recueillir des fonds, une vingtaine d’espèces se détachent du lot, avec en tête un quatuor formé par le tigre, le lion, l’éléphant et la girafe. (17)

En 2015, le braconnage du lion Cecil, au Zimbabwe, soulève un tollé mondial. Des manifestants déguisés en lion défilent même à New York ! (18) Est-ce que la mort du dernier spécimen d’une espèce de serpent aurait suscité une émotion semblable ? On peut en douter. Même la science n’y échappe pas. À preuve, les grandes revues scientifiques publient 500 fois plus d’articles sur les grands mammifères menacés que sur les amphibiens. (19) Au passage, on notera que les animaux possédant des traits enfantins – grands yeux, face arrondie, etc. – suscitent davantage l’empathie. C’est le syndrome de la « face de bébé ». Même les araignées qui possèdent de grands yeux nous apparaissent moins dangereuses. (20) En résumé, si vous voulez faire pleurer dans les chaumières, mieux vaut être un bébé phoque plutôt qu’un kakapo, ce perroquet néozélandais à gros nez qui ne sait même pas voler. (21)

Pour conjurer le sort, des biologistes militants ont fondé la Société pour la préservation des animaux laids. (22) Comme son nom l’indique, l’organisme défend les espèces dotées d’un physique ingrat, avec pour mascotte le blobfish, un poisson à la face bouffie et flasque des profondeurs du Pacifique. Son défi consiste à faire mentir l’humoriste américain Roy Blount, qui disait : « C’est une bonne chose que le chien et le serpent ne puissent pas s’accoupler. Qui voudrait d’un serpent loyal ? »

JADIS, LE LANCER DE LA CHÈVRE

On dira que la « cause » animale part de loin. Au XIXE siècle, la ville de New York trouvait normal de se débarrasser des chiens errants en les enfermant dans des cages de fer que l’on plongeait dans l’hudson. À Montréal, le bétail était égorgé dans des conditions atroces, en pleine rue. Dans toutes les écoles de médecine, des profs éviscéraient des chiens vivants. Un écrivain français déclarait même que les gens opposés à la « vivisection » ne pouvaient être que des « dégénérés » ou des « femmes stériles ». (23)

Encore aujourd’hui, l’indifférence envers les souffrances des animaux demeure très répandue. De nombreux pays permettent les combats de chiens ou de coqs. Jusqu’en l’an 2000, le clou d’un populaire festival espagnol consistait à lancer une chèvre du haut d’un clocher d’église.

(24) Dans un livre récent, un gérant de cirque raconte l’histoire d’une girafe dont la tête dépasse par un trou aménagé au-dessus de sa cage. Un jour, lors d’un transport en camion, l’animal est presque tué lorsqu’il se cogne la tête contre un pont. Le conducteur se disait que la girafe n’avait qu’à se baisser la tête ! (25)

Selon Interpol, le commerce illicite d’animaux sauvages s’impose comme le plus lucratif du monde après celui de la drogue. (26) Il dépasserait 20 milliards $ par année. Viande de pangolin ? Nageoire de requin ? Poudre de corne de rhinocéros ? Faites votre choix ! Une vésicule biliaire d’ours peut valoir jusqu’à 10 000 $, sur le marché noir. (27)

Que dire du commerce de grands fauves ? En 2018, on a découvert un abattoir de tigres… en République tchèque. En plein coeur de l’europe ! Les différentes parties des animaux étaient exportées au Vietnam, pour la médecine traditionnelle. Une fois réduits en poudre, les os de tigre valent jusqu’à 100 $ le gramme. (28)

Faut-il pleurer, faut-il en rire ? Aux États-unis, plus de 5000 tigres vivent plus ou moins légalement en captivité.

En comparaison, à peine 3900 tigres vivent encore dans leur environnement naturel, en Asie. (29)

ÉPILOGUE : CE QUI VA RESTER DE NOUS

Jusqu’où iront les amoureux des animaux ? Difficile à dire. Les plus exaltés se plaisent déjà à imaginer une société débarrassée de toute exploitation animale. (30) Ils rêvent d’un monde converti aux idées véganes. Un monde dans lequel les fast-foods ne proposeraient plus que des végéburgers. Un monde où même les motards criminalisés porteraient des vêtements de faux cuir fabriqués avec des fibres d’ananas...

Ceux-là prédisent même que les humains du futur regarderont notre époque avec effroi. Du genre : « Mais qui étaient donc ces gens qui tuaient plus de 70 milliards d’animaux chaque année, pour se nourrir ? » (31) Si tout cela se réalise, espérons qu’un vieux sage rappellera que malgré tous leurs défauts, les humains de 2021 étaient fous des animaux.

Pour convaincre les humains du futur, il faudra rappeler le combat héroïque des 680 gardiens du Parc national des Virunga, le dernier sanctuaire des gorilles de montagne de la République démocratique du Congo. Il faudra dire qu’en 2021, ceux-là risquent leur vie pour un salaire d’environ 10 $ par jour. (32) Depuis 2001, 200 ont été tués par des groupes armés… (33)

C’est vrai qu’en général, le sort des gorilles des Virunga nous bouleverse davantage que celui de leurs défenseurs humains. En janvier 2021, une demi-douzaine de gardiens ont été tués dans l’indifférence quasi générale. Tout le contraire de la commotion provoquée par une photo diffusée le 26 septembre. On y voit une femelle gorille de 13 ans, Ndakasi, mourant dans les bras de son gardien adoré, des suites d’une longue maladie.

L’image a vite fait le tour du monde. Des millions d’internautes ont été émus aux larmes. (34)

LA UNE

fr-ca

2021-10-16T07:00:00.0000000Z

2021-10-16T07:00:00.0000000Z

https://lequotidien.pressreader.com/article/281500754441164

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