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LES VACCINÉS COURENT-ILS VRAIMENT UN RISQUE ÉLEVÉ DE DÉCÈS D’ICI UN AN?

JEAN-FRANÇOIS CLICHE jfcliche@lesoleil.com

L’AFFIRMATION

« J’ai vu une vidéo qui circule beaucoup sur les réseaux sociaux. On y voit quelqu’un qui se présente comme un médecin luxembourgeois et qui dit qu’il observe des taux anormalement élevés de D-dimères dans le sang de ses patients vaccinés contre la COVID-19. Les gens sont très fatigués, mais les investigations médicales ne trouvent rien. Il émet l’hypothèse qu’il s’agit de microthromboses survenant un peu partout dans le corps avec un risque élevé de décéder dans les mois à venir. Ce “problème” en est-il vraiment un ? », demande Jerry Espada, de Sherbrooke.

LES FAITS

La vidéo en question [https ://bit. ly/3vplsd7] montre le Dr Benoît Ochs, qui est – ou était – bel et bien médecin au Luxembourg. Je ne suis pas sûr s’il faut parler de sa pratique au présent ou au passé parce que sa licence a été suspendue pour un an, cet été, par le Collège médical du Luxembourg [https ://bit.ly/3vddyoz], à cause de propos antimasques et antivaccins qu’il a tenus publiquement à de nombreuses reprises

– il a notamment décrit la vaccination des 12-15 ans comme un « infanticide » – et parce qu’il a traité des patients avec des médicaments sans preuve d’efficacité. Le Dr Ochs en a tout de suite appelé de la décision.

Dans sa vidéo, le Dr Ochs parle effectivement des « D-dimères », qui sont des fragments de protéine produits par la dégradation de la fibrine, une protéine qui joue un rôle important dans la coagulation. À la suite d’une blessure ou quand un vaisseau sanguin se rompt, la coagulation vient « boucher le trou » afin de juguler l’hémorragie, mais le « bouchon » ne restera pas là indéfiniment. Il devient en effet inutile une fois que la paroi du vaisseau finit de se refermer et de guérir. Le corps commence alors à défaire la fibrine en petits morceaux, dont les D-dimères font partie.

En clinique, on mesure les D-dimères lorsque l’on soupçonne un patient de faire une thrombose, soit un caillot sanguin important qui fait beaucoup augmenter les concentrations de ce fragment de protéine. Si les D-dimères sont en dessous d’un certain seuil – généralement autour de 500 microgrammes par litre (µg/l), mais ça varie selon l’âge –, la possibilité d’une thrombose est écartée. Mais si c’est au-dessus de ce seuil, eh bien, cela ne veut pas forcément dire grand-chose, parce qu’il y a beaucoup de facteurs différents qui peuvent faire augmenter beaucoup les D-dimères dans le sang – je reviens tout de suite làdessus. Il faut alors faire d’autres tests pour voir si on a vraiment affaire à une thrombose.

Le Dr Ochs dit qu’il a vu beaucoup de ses patients nouvellement vaccinés contre la COVID avec des concentrations élevées, « c’est pratiquement un patient sur cinq, dit-il. […] J’en ai bien une trentaine [de patients] qui ont plus de 3000 ». Il s’étonne qu’on ne trouve aucune thrombose, phlébite ou embolie chez ces patients, et suppute qu’ils feraient « des microthromboses partout dans leur corps. Et qu’à force de faire des microthromboses partout comme ça, peut-être que toutes ces personnes seront décédées l’année prochaine ».

Les gens qui ont « plus de 3000 […], ce sont des personnes qui sont dans la possibilité de mourir dans les prochains mois, ou l’année prochaine », martèle-t-il.

Le hic, cependant, c’est que le Dr Ochs semble ici surinterpréter gravement la signification de la présence des D-dimères. « C’est un test qui est sensible, mais qui est très non spécifique [qui n’identifie pas un problème en particulier parce qu’il peut avoir plusieurs causes différentes, NDLR], dit le Dr Steeve Provencher, pneumologue à l’institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec, qui, à ce titre, demande souvent des tests de D-dimères pour les patients à qui il soupçonne une embolie pulmonaire.

« Dès que quelqu’un attrape un rhume ou une infection quelconque, illustre-t-il, les D-dimères peuvent augmenter. Tout ce qui provoque une inflammation peut avoir cet effet-là. […] Alors, même sans thrombose ou sans embolie pulmonaire, il est possible d’atteindre 2500 ou 3000 µg/l. Pour un patient qui se présenterait à l’urgence avec une pneumonie, par exemple, ces niveaux-là ne m’apparaissent pas excessifs, même si on ne mesure généralement pas les D-dimères pour ces patients-là. » Et une fois que la cause de cette hausse disparaît, les D-dimères redescendent.

Il est vrai, poursuit le Dr Provencher, que les hôpitaux et les cliniques médicales voient depuis 12 à 18 mois plus de gens présentant des taux élevés de D-dimères qu’à l’habitude. Mais il l’explique par le fait que la COVID-19 est elle-même une cause de D-dimères élevés, et aussi parce que des études ont montré que les concentrations sanguines de ce fragment de protéine sont un indicateur de la gravité de la maladie – notamment dans le Journal of the American Medical Association, en juillet 2020 [https :// bit.ly/3fpozud]. À cause de cela, les médecins se sont mis à demander plus de lectures des D-dimères chez leurs patients, et on a donc trouvé plus de « cas » qu’à l’accoutumée. « C’est peutêtre cette augmentation-là que le médecin luxembourgeois a vue dans sa pratique », suppute le Dr Provencher.

Mais quoi qu’il en soit, l’idée de gens qui feraient des microthromboses un peu partout dans le corps et dont les petites artères se boucheraient toutes, mais qui ne ressentiraient rien d’autre que de la fatigue, ne tient pas la route, selon le Dr Provencher. « Ça m’apparaît assez loufoque. Si on mesurait les D-dimères après n’importe quel vaccin, que ce soit contre la COVID ou d’autres choses, ça me semble plausible que ça augmente dans les jours qui suivent. Mais la signification de ça m’apparaît très limitée. C’est juste l’effet d’une réaction inflammatoire normale après un vaccin. […] Tous les organes ont besoin d’être irrigués par des petits vaisseaux sanguins, alors n’importe quel organe qui ferait une multitude de microthromboses aurait de la misère à fonctionner. Et pas besoin d’attendre un an, on verrait des manifestations cliniques au bout de quelques heures. »

Ajoutons à cela que les premières doses de vaccins ANTICOVID ont été administrées massivement à partir de la fin de 2020, ce qui nous place dans la fenêtre de temps dont parle le Dr Ochs – risque de décès sur un horizon de quelques mois à un an. Et il n’y a pas eu de mortalité massive liée à la vaccination chez les premières cohortes de vaccinés.

« En tout cas, personnellement, si j’avais vu mes D-dimères à moi augmenter au cours des semaines après ma vaccination, je ne m’en serais pas inquiété du tout », conclut le Dr Provencher.

VERDICT

Absolument rien n’indique que les vaccinés courent un risque de décès accru sur 12 mois. Cette histoire de D-dimères élevés semble plutôt être une mauvaise interprétation de ce que ce test médical signifie – et ce qu’il ne signifie pas.

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