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UN PHÉNOMÈNE QUI PREND DE L’AMPLEUR

ROXANNE CARON roxanne.caron@lavoixdelest.ca

Le phénomène de la rurbanisation existe depuis plus d’un siècle. La pandémie lui a toutefois donné un coup d’accélérateur inattendu, selon l’historien Harold Bérubé. L’arrivée de citadins à la campagne risque de revitaliser plusieurs villages du Québec, mais aussi de les placer dans une position délicate, nuance-t-il.

Cette idée de quitter la ville pour s’établir à la campagne, soit la rurbanisation, est présente depuis la fin du 19e siècle. « C’est fuir la pollution, la congestion. C’est rejeter le rythme, la densité et le cosmopolitisme. Cette fuite est souvent liée au fait de fonder une famille et ça fait plus d’un siècle que cette idée prend de la vitesse », indique le professeur titulaire au département d’histoire de l’université de Sherbrooke.

Pas étonnant, donc, que la pandémie, qui nous a tous forcés à ralentir et à repenser notre mode de vie, ait titillé cette envie de renouveau et de grands espaces.

Les enjeux générés par cet élan vers la ruralité rappellent d’ailleurs à l’historien les mêmes que ceux de la gentrification. « Des gens plus fortunés s’installent alors dans des quartiers ouvriers et bouleversent les manières de faire. On observe un peu la même chose dans les villages ciblés par les rurbains, surtout ceux qui ont des portefeuilles bien garnis. Ces gens-là arrivent et rêvent de la tranquillité, mais ils ne veulent pas tout à fait décrocher de la ville. »

Ils souhaitent, par exemple, avoir facilement accès à un café, à une épicerie biologique ou à Internet haute vitesse. « Ça crée toutes sortes de tensions entre ces nouveaux villageois et les anciens. Ils vont parfois mettre des pressions sur les conseils municipaux. Et parfois, leurs intérêts ne coïncident pas avec les intérêts des gens déjà établis », fait remarquer le professeur.

ET APRÈS?

Pour cet historien, la pandémie est à la fois « terrifiante et fantastique parce qu’elle crée des conditions qu’on n’aurait jamais imaginées avant ». Plusieurs n’auraient jamais fui la ville s’ils avaient eu à faire deux heures de route tous les jours pour se rendre au travail.

C’est donc l’accélération du télétravail causé par la pandémie qui a fait pencher la balance. « Une partie massive du marché s’est retrouvée en télétravail. Et on a rapidement pu voir l’emballement du marché immobilier dû à l’arrivée importante de gens de Montréal. On voit une intensification du mouvement favorisé par la pandémie », poursuit le professeur Bérubé.

« Quand un secteur devient trop populaire et que des promoteurs s’en mêlent et achètent un lot pour construire des bungalows, il y a un emballement du développement. La popularité du secteur se retourne contre elle et détruit les caractéristiques du milieu recherché à la base. »

Mais une fois la crise sanitaire dernière nous, est-ce que ces nouveaux villageois ressentiront l’appel de la ville et de ses avantages ? « Il y aura peut-être un ressac parce que certains vont être déçus de la campagne ou parce que l’employeur va demander aux employés de revenir au travail. »

M. Bérubé croit toutefois que ce choix sera irréversible. « Plusieurs vont chercher à préserver ce mode de vie. »

VITALITÉ

Une chose est toutefois certaine : pour certains villages qui connaissent un déclin démographique, l’intensification de la rurbanisation aura un impact positif. « Ce genre de décentralisation de la population, à une époque, on ne l’aurait pas cru possible. On craignait plus l’étalement urbain qui amènerait la disparition des terres agricoles », observe M. Bérubé.

Là où il risque d’y avoir des frictions, c’est plutôt au niveau des services et des infrastructures, poursuit-il. « Les besoins ne seront pas les mêmes selon quelqu’un qui habite une municipalité rurale et qui a une ferme et un jeune couple de professionnels qui débarque et qui veut Internet haute vitesse, des services sportifs. Il y aura des tensions parce que les ressources sont limitées. Il faut prioriser tout ça et les priorités des deux groupes ne sont pas nécessairement les mêmes. »

Avec cet attrait pour les grands espaces, peut-on penser que l’avenir est à la campagne ? Le professeur en doute, mais il ne serait pas déçu si tel était le cas. Selon lui, si le télétravail est là pour rester dans une majorité d’entreprises, cette convergence de gens vers les milieux ruraux pourrait donner un coup de vitalité aux villages québécois. « Pour des régions éloignées, ça peut être bénéfique, car elles ont parfois de la difficulté à retenir leurs jeunes et obtenir la main-d’oeuvre. S’il y a une sorte de rééquilibrage de la population à travers le territoire québécois, ça peut avoir du bon dans la mesure où les gens restent sur les lieux et contribuent à la collectivité. »

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