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CE QUE NOUS ENSEIGNENT LES MANUELS SCOLAIRES

MYLÈNE MOISAN mmoisan@lesoleil.com

«Autrefois, mon pays était tout couvert de forêt. Il y avait des Indiens dans la forêt. Des Indiens qui se faisaient souvent la guerre. Un jour, la Robe-noire est venue convertir les Indiens. »

Ainsi commence le livre d’histoire des élèves de 3e année. Nous sommes en 1952.

Et moi, je suis à Saint-léon-destandon, dans Bellechasse, où je me suis rendue par une magnifique journée d’automne, à l’invitation de Jean Rodrigue. Jean y a travaillé des années comme médecin, il est tombé en amour avec la place et les gens qui y habitent, les Standonniens. Il y passe encore une bonne partie de son temps. Il m’a fait venir à Saintléon pour me montrer la nouvelle exposition à la bibliothèque. Des manuels scolaires. Mario Grenier était là aussi. C’est lui qui a eu l’idée de créer une bibliothèque il y a 32 ans « pour donner la culture à nos jeunes ». La bibliothèque est intégrée à l’école, Mario en a été un des tout premiers élèves en 1964. « Je suis né à Saint-léon et je vais mourir à Saint-léon. »

Il travaille à la quincaillerie depuis 1974.

Depuis que je suis née. L’amour des manuels scolaires, c’est Jean. « J’ai toujours été un grand amoureux des livres. J’avais gardé mes livres d’école. » Mais il en manquait, entre autres, le livre d’histoire où Jean était convaincu d’avoir lu que lors de la messe célébrée pour la fondation de Montréal, la lampe du sanctuaire était illuminée de mouches à feu.

« Un jour, je faisais une visite à domicile chez Mme Jacques et j’ai remarqué à l’entrée une boîte de livres. Je lui ai demandé : “Qu’estce que c’est ? ” Elle m’a répondu : “C’est pour jeter.”c’était rempli de manuels scolaires. » Mme Jacques, Clara Deblois de son nom de jeune fille, avait été institutrice.

Elle se départissait des livres avec lesquels elle avait enseigné et de ceux-là, le manuel d’histoire de 3e année que cherchait Jean. Page 35, ce fameux passage sur la messe célébrée en présence de Jeanne Mance et de Paul de Chomedey de Maisonneuve. « Comme lampe du sanctuaire, on met des mouches à feu… dans une bouteille. »

Jean était content.

Et c’est là que lui est venue l’idée de faire une exposition de ce qui était enseigné dans les écoles du Québec avant la Révolution tranquille, dans les années 1940 et 1950. « Je me suis dit que ce serait intéressant de partager tout ça. J’en ai parlé à Mario et on a fait un appel à tous les citoyens pour voir si on arriverait à trouver suffisamment de manuels pour faire une exposition. »

Leur appel a été vite entendu. « On a réussi à avoir tout le corpus de l’élémentaire de la première à la septième année. »

L’école était obligatoire jusqu’à 14 ans.

« Les manuels scolaires, c’est tout un monde. C’est comme avoir le Polaroïd de toute une époque. » Une époque où la place de la femme était à la maison ; les filles l’apprenaient très tôt avec le manuel Louise et sa maman. Dans l’édition de 1953 pour les 4e et 5e années, on fait dans la grandiloquence. « Vous deviendrez ainsi la force et la gloire de votre pays, tout comme vos grands-mères et vos arrièregrands-mères l’ont été. » Tant que votre mari est heureux. « On voit qu’il y avait une cohérence, une cohérence qui était une vision commune de la société. Les livres se parlaient,

«L’école offrait l’ensemble des connaissances pour être un bon citoyen, un bon catholique, pour être un bon Canadien français. Il y avait un souci de donner une formation complète, mais avec ses biais.»

— Jean Rodrigue

l’école offrait l’ensemble des connaissances pour être un bon citoyen, un bon catholique, pour être un bon Canadien français. Il y avait un souci de donner une formation complète, mais avec ses biais. Il y a une vision commune qui se dégage, par rapport aux Autochtones, notamment. »

Et c’est là que le Polaroïd nous montre le contraste le plus vif, avec ceux qu’on appelait les « Indiens », les « sauvages », même les « bourreaux », dont on apprenait tôt qu’il fallait se méfier, qu’ils étaient donc chanceux que nous soyons là pour leur enseigner l’amour de Dieu et les bonnes manières. Voyez, dans un manuel de géographie : « La race rouge ou américaine a le teint cuivré ; elle peuplait notre continent, mais elle disparaît peu à peu et se confond avec la race blanche en prenant ses habitudes. »

C’était l’époque des pensionnats. C’était la vision commune. Mais il n’y avait pas que cet obscurantisme dans les manuels scolaires. Les enfants apprenaient très tôt les bonnes manières et le civisme. « On devrait ressortir ça », blague Mario en ne blaguant pas tant que ça. Dans le Manuel de bienséance de 1957 pour les élèves de 6e et 7e année, il est écrit ceci : ‘‘Être poli, ce n’est pas seulement apprendre des formules de politesse par coeur, c’est se mettre à la place des autres pour deviner et mettre en pratique ce qui peut leur être agréable.’’ » Ça s’est perdu en chemin. Les institutrices apprenaient aussi aux enfants à « être serviables », à « prendre soin des personnes âgées », à « combattre l’égoïsme », à « se servir du cure-dent », à « rendre service », à « être de bon perdants », à « être affables et bons » et – j’aime particulièrement celle-là – à « ne pas critiquer le menu ».

On apprenait les chansons traditionnelles, ce qui fait que tout le monde pouvait chanter ensemble. On a perdu ça, aussi. Également, dès la première année, on enseignait aux enfants les règles d’hygiène avec le manuel La santé source de joie, qui disait qu’il fallait boire de l’eau, se laver les mains, qu’il ne fallait pas mettre de crayon dans sa bouche et qu’il fallait avaler de l’huile de foie de morue pour faire le plein de vitamine D.

Encore aujourd’hui, la vitamine D reste une des meilleures façons de renforcer son système immunitaire.

Il ne fallait pas attendre au secondaire avant de recevoir ses premières leçons de comptabilité, question de savoir tenir un budget. « C’était pour les artisans, pour les petits commerçants, pas pour les grands entrepreneurs. » Le Canadien français était né pour un petit pain, mais il allait savoir compter pour l’acheter.

Mais comme le Canadien français avait de bonnes chances de passer sa vie à cultiver sa terre, mieux valait lui enseigner tôt l’art de faire pousser des carottes et de traire une vache. La femme de l’agriculteur n’est pas en reste. Dans le manuel d’agriculture des 6e et 7e années, on l’avise qu’elle « doit être en mesure de soutenir et de seconder moralement son époux dans son travail ».

On la prévient aussi des tentations de la vie urbaine. « La femme est très souvent responsable du départ de certaines familles d’agriculteurs vers les villes. » Bonjour la culpabilité. Évidemment, tout ce corpus est recouvert de l’épais vernis de l’église catholique qui régnait sans partage sur le Québec de l’époque. Les manuels sont l’oeuvre de congrégations religieuses, entre autres les Frères maristes et les Frères du Sacré-coeur, qui ne ratent pas une occasion de rappeler que Dieu est bon.

Les enfants apprenaient par coeur le catéchisme.

Aussi à écrire sans faute. La semaine avant que je passe, Jean et Mario étaient allés chercher d’autres manuels scolaires chez Lydia Nadeau. L’ancienne institutrice ne s’en était jamais départie jusqu’à son décès. « Dans la succession, il y avait les livres d’écoles avec lesquels elle avait enseigné. Elle avait aussi laissé de grands panneaux en carton qu’elle avait fabriqués pour enseigner l’écriture aux enfants. »

Il y avait aussi des diplômes. « Elle avait reçu trois fois le diplôme parce que ses étudiants de septième année avaient obtenu les meilleurs résultats dans toutes les matières. »

C’était beau, le nivellement par le haut.

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