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UNE BONNE ADAPTATION, UN VILLENEUVE «MOYEN»

YVES BERGERAS ybergeras@ledroit.com

Ce récit de science-fiction étant des plus denses, de par son approche à la Game of Thrones, on vous épargne le synopsis de Dune, dans lequel une copieuse galerie de personnages s’adonnent à toutes sortes de calculs diplomatiques et militaires, sur fond d’intérêts politiques, économiques et religieux.

Vous tenez au résumé ? Le livre, un phare de la science-fiction moderne, date de 1965. David Lynch a donné vie une première fois à l’univers de Frank Herbert en 1984 ; une version sérielle a vu le jour à la télé dans les années 90 ; et puis, toute l’industrie du septième art décortique cette sortie depuis au moins trois ans... Rendus là, faites vos devoirs !

Pas eu le temps ? OK ! L’intrigue est centrée autour de Paul Atréides, genre de « prince » héritier d’une grande famille qui se voit confier l’extraction et la gestion de l’« épice », une ressource aussi rare que précieuse, et qu’on ne trouve que sur Arakis, une dangereuse planète surnommée Dune. Point de départ du voyage des Atréides. Et de la quête initiatique de Paul.

Bien que Denis Villeneuve ait eu la bonne idée de se cantonner au premier tome de ce diptyque littéraire pour « alléger » les choses – là où l’adaptation de Lynch condensait les deux volets du roman – on reste sur sa faim... Surtout à la fin, qui souffre de l’absence de cliffhanger et d’une « résolution » sans véritable amplitude. Ne tournons pas autour du pot : ce n’est qu’une moitié de saga. D’où cette sensation d’inachevé.

Certes, le résultat est visuellement spectaculaire, et ravira certainement la plupart de ceux qui découvriront l’empire (l’imperium) de Herbert grâce à ses images. Pourtant, on en attendait plus de la part d’un réalisateur deux fois candidat aux Oscars (pour Arrival et Blade Runner 2049), qui a su faire preuve d’autant de maîtrise que d’imagination au fil d’un parcours cinématographique impressionnant.

Avec Incendies et Sicario, en particulier, Villeneuve a prouvé qu’il pouvait tirer des idées inattendues, des thèmes pertinents et réjouissants, de scénarios qui, eurent-ils été confiés à des tâcherons de la caméra, auraient moins d’impact. Et c’est au regard de ce parcours quasi sans faute que cette nouvelle mouture de Dune laisse un arrièregoût de déception, en ce qu’elle ne se distingue pas assez, à nos yeux, de l’adaptation Lynchéenne.

ÉQUILIBRE ET EXPLOITATION

Le sous-texte écolo, fil rouge de Herbert, est joliment mis en valeur. Plus adéquatement que chez Lynch, sans nul doute. Comme dans le bouquin, cette idée-force résonne, de façon plus large, à l’intérieur du thème des rapports de force, de « l’équilibre » – entre l’homme et les ressources naturelles – et de l’exploitation – de l’homme par l’homme, voire par le pouvoir politique ou religieux.

Les femmes jouent d’ailleurs dans ce récit filmé un rôle nettement plus prépondérant qu’en 1984. Cela est dû, en grande partie, à la relation entre Paul et sa mère, que Villeneuve – contrairement à Lynch, chez qui la féminité se confondait dans la dimension religieuse du récit – prend le temps de creuser.

À y repenser, on n’a pas de grandes récriminations à partager. Les costumes sont renversants ; les décors nous happent très vite et nous projettent aux confins de cette exotique galaxie ; la direction photo est saisissante ; et le jeu des comédiens, irréprochable – le contraire eut été étonnant, avec pareille distribution.

À part une scène de bataille irritante – que certaines factions portent des costumes évoquant ceux des ninjas, à la limite, pourquoi pas, mais que leurs acrobaties martiales ressemblent à des pirouettes d’animé japonais, c’est trop – et une trame musicale – pourtant supervisée par Hans Zimmer – pas particulièrement inspirée, on n’a pas beaucoup de raison objective d’avoir accueilli si tièdement le film.

UN BON (MAIS LONG) PRÉAMBULE

On est malgré tout tenté d’écrire qu’il s’agit d’un bon film et d’une adaptation somme toute réussie, tout en n’étant qu’un Villeneuve « honnête ». Un Villeneuve « assez moyen », en ce sens qu’on espérait de sa part un regard plus personnel, une exploration plus osée de cet univers assez vaste pour qu’il puisse se le permettre. Et que le résultat n’est pas à la hauteur de nos attentes. Lesquelles étaient certes très – et probablement trop – élevées.

C’est presque comme si ces deux heures et 30 minutes n’étaient que le préambule nécessaire au véritable film qui doit suivre ¬ du moins, si les spectateurs sont au rendez-vous.

La structure narrative, notamment, ne nous a pas semblé suffisamment éloignée de la version de Lynch. Alors, pourquoi proposer une nouvelle vision, si ce n’est pour profiter d’effets spéciaux plus au goût du jour, le « vieux » Dune ayant plutôt mal vieilli à ce chapitre ?

DÉPASSÉ PAR LES ÉVÉNEMENTS

Villeneuve passe plus d’une heure à bombarder le jeune Paul – et le spectateur, du même souffle – de la colossale somme d’informations qui lui permettront de reconstituer progressivement les enjeux – le décor du récit – qui s’entremêlent autour de sa famille et de son destin.

Ce faisant, le réalisateur s’arrange pour qu’on se projette immédiatement dans ce protagoniste encore vert et naïf, d’abord dépassé par les événements, silencieux, mais stoïque, qui découvre tout des intrigues des « grands » de ce monde. Et sa stratégie fonctionne : on est dépaysés, décoiffés et parfois à bout de souffle, dans cette course explicative de « qui fait quoi ».

Mal nécessaire, ce jeu « d’éclairage » auquel s’adonne Villeneuve nous a semblé habilement s’intégrer au sein de la structure narrative. C’est correctement dosé, et on ne tombe pas dans la séquence explicative lourdement scolaire. Mais il vous faudra rester alerte, parce que ça va très vite. Oui, le guide touristique de cette expédition nous prend un peu par la main, mais Villeneuve ne répétera pas les informations-clés ; il faudra donc veiller à ne pas cligner des yeux trop souvent. Ou retourner voir Dune une seconde fois...

CINÉMA

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2021-10-16T07:00:00.0000000Z

2021-10-16T07:00:00.0000000Z

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