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Se venger à l’heure du coucher

MARC ALLARD mallard@lesoleil.com

Parfois, après une dure journée de travail et une soirée avec les enfants qui rechignent à faire leurs devoirs, j’ai l’impression que mon temps ne m’appartient plus. Alors, je me venge à l’heure du dodo.

Quand je sens que mon corps veut dormir et que le moment est venu de me glisser sous les couvertes, je m’oppose comme un ado : non, je n’irai pas me coucher ! J’enchaîne un autre épisode d’une série télé, je continue à gratter ma guitare ou j’explore les profondeurs d’un site de nouvelles sur mon téléphone.

En 2014, des chercheurs ont surnommé cette tendance la « procrastination de l’heure du coucher ». Mais depuis l’an dernier, une variante plus pernicieuse du phénomène gagne en notoriété : la « procrastination de vengeance à l’heure du coucher », mieux connue sous son surnom anglais revenge bedtime procrastination.

Selon la BBC, une des premières mentions de ce terme vient d’un blogueur chinois qui, en novembre 2018, se plaignait de longues heures de travail stressantes qui laissaient peu de temps pour le plaisir personnel.

Puis, en juin l’an dernier, l’expression s’est propagée dans le monde occidental après un tweet de la journaliste Daphne K Lee, qui estimait que le phénomène se manifeste lorsque « les personnes qui n’ont pas beaucoup de contrôle sur leur vie diurne refusent de dormir tôt afin de retrouver un sentiment de liberté pendant les heures tardives de la soirée ».

Avec le télétravail pandémique, de nombreux Québécois ont vu leur temps de travail s’allonger et leur temps de loisir rétrécir. La procrastination de vengeance à l’heure du coucher est peut-être un des facteurs derrière la pénurie de sommeil qui s’est accentuée avec la crise sanitaire. Avant la pandémie, plus du tiers des Québécois avaient de la misère à dormir. Au printemps, une étude de l’université d’ottawa a révélé que plus de la moitié des répondants dormaient mal.

Sans suffisamment d’heures de sommeil, l’esprit et le corps ne peuvent pas se recharger correctement. La mémoire et la prise de décision se dégradent. On devient plus irritable. Les risques de dépression et d’anxiété augmentent.

Mais quand c’est l’heure de se coucher et que l’épisode final d’une série est sur le point de démarrer, difficile de fermer le capot de l’ordinateur. Que faire alors ?

Expert de renommée internationale du sommeil, le professeur Charles Morin, de l’école de psychologie de l’université Laval, m’expliquait l’an dernier que les routines sont les alliées du dodo. Il suggérait de se coucher et se lever aux mêmes heures chaque jour dans la mesure du possible, de réserver au moins 7 à 8 heures par nuit pour dormir et de prendre une heure avant le dodo (sans écran) pour décompresser.

L’économiste Arthur Brooks, qui signe une fabuleuse chronique sur le bonheur dans The Atlantic, propose de son côté une solution cognitive : cessez d’envisager le sommeil comme un fardeau. Si la procrastination de vengeance à l’heure du coucher est une façon de reprendre le contrôle sur un manque de temps pour soi, propose-t-il, choisissez d’aller vous coucher au lieu de le subir.

Quand on s’y attarde, il y a un grand plaisir à se glisser sous les couvertes, à poser la tête sur l’oreiller et à permettre à son corps de prendre une longue pause nocturne. Ce n’est pas un fardeau, mais une bénédiction.

LE MAG

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2021-10-16T07:00:00.0000000Z

2021-10-16T07:00:00.0000000Z

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