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LE TESTAMENT DU LAC VICTORIA

STÉPHANE BOUCHARD sbouchard@lequotidien.com

Si rien n’est fait, le deuxième plus grand lac au monde, le lac Victoria, en Afrique, mourra d’ici une cinquantaine d’années. Le photographe Frédéric Noy montre, dans une série de photos présentée à La Pulperie dans le cadre du Zoom Photo Festival Saguenay, que l’addition de chaque petit geste peut avoir d’énormes conséquences.

Au téléphone, Frédéric Noy explique que de nombreuses personnes à qui il a parlé pendant qu’il réalisait cette série photo étaient sceptiques devant ce dur constat. Le pêcheur qui attrape des poissons pour sa subsistance, la personne qui lave sa vaisselle sale et le travailleur qui gagne son pain dans une industrie polluante ne se doutent pas que le lac d’une superficie de 68 000 kilomètres carrés agonise.

Celui qui a remporté un prix du World Press Photo pour son travail sur cette étendue d’eau habitait dans la capitale ougandaise, Kampala, quand il est tombé sur une entrevue d’un politicien kenyan. Il y expliquait que les déversements faits dans le lac allaient causer sa perte. Des changements radicaux étaient nécessaires pour éviter que la vie qu’on y retrouve disparaisse.

« Moi qui voyais le lac tous les jours, ça me semblait une affirmation ahurissante. Le lac, il est énorme. Ça représentait l’éternité », raconte le photographe, avant d’ajouter que la conclusion de ce politicien était que « l’éternité allait finir ».

L’enjeu est de taille. Le lac touche trois pays : l’ouganda, le Kenya et la Tanzanie. On estime qu’entre 40 et 50 millions de personnes en dépendent pour vivre, d’une manière ou d’une autre.

TRAVAIL DE LONGUE HALEINE

À la fin de 2019, Frédéric Noy est donc parti à la rencontre de ces personnes, à la recherche des blessures du lac qui pourraient lui être fatales.

Le photojournaliste a visité pendant près de huit mois les trois pays africains qui touchent le lac Victoria. Sa volonté était de faire un reportage qui allait être le plus exhaustif possible.

Le problème qu’il a constaté est que beaucoup de riverains, qui vivent avec le lac depuis des générations, considéraient ces blessures comme de petites égratignures.

« C’est une région énorme. La religion y est très répandue. Il y avait souvent l’idée que Dieu y pourvoira. C’était difficile d’avoir des discussions rationnelles avec des interlocuteurs qui ramenaient la question à un niveau plus spirituel », se souvient M. Noy.

La problématique de la survie du lac Victoria, bien qu’importante, n’était pas la priorité de la population. Cette absence de préoccupations, parce que le danger semble trop grand, constitue l’angle abordé par Frédéric Noy.

L’équilibre à atteindre entre la préservation de l’environnement et la subsistance des populations s’est imposé de lui-même.

« C’est ce qui rendait cette quête photographique intéressante. La tension entre l’idée qu’il faut sauver le lac, qu’il faut lui faire attention, et la vie banale et triviale des personnes qui sont plutôt dans une optique de survie », indique l’adepte de slow journalism (journalisme lent), qui a notamment travaillé sur les minorités LGBTI dans la région des Grands Lacs.

Encore aujourd’hui, Frédéric Noy garde un oeil sur le lac Victoria, pour s’assurer que ce qu’il a constaté avec son appareil photo demeure valide. « Il est important que ce qu’on dit, ce qu’on montre et ce qu’on sous-entend soient confrontés à la réalité et qu’on puisse le valider soi-même. »

L’exposition est présentée jusqu’au 31 octobre.

«Moi qui voyais le lac tous les jours, ça me semblait une affirmation ahurissante. Le lac, il est énorme. Ça représentait l’éternité.» — Frédéric Noy

ARTS

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2021-10-16T07:00:00.0000000Z

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