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RÉGAL Le savoir-faire culinaire des femmes syriennes

EN CUISINE

KARINE TREMBLAY karine.tremblay@latribune.qc.ca

L’histoire derrière l’entreprise sociale Les Filles Fattoush est inspirante, aussi savoureuse que les plats qu’elle signe et les épices qu’elle commercialise.

Intrigués ? Retournons en 2017. Quand la belle idée initiée par la documentariste Josette Gauthier a cheminé dans la tête et le coeur de Geneviève Comeau et d’adelle Tarzibachi. Ensemble, elles ont mis sur pied un service de traiteur, de prêt-à-manger et de produits fins qui permet aux réfugiées syriennes du Québec d’accéder au marché du travail.

« Il y a un certain temps déjà, j’avais créé Adeco Import, compagnie spécialisée dans l’importation de produits artisanaux syriens. J’étais déjà en contact avec des producteurs, dans mon pays d’origine », explique Adelle.

L’entreprise sociale Les Filles Fattoush, dont certains produits sont en vente chez Eugène Allard Cuisine et Tendances, à Chicoutimi, a suivi il y a quatre ans. Alors que le Canada ouvrait les bras aux réfugiés syriens.

En quatre tours de calendrier, une trentaine de femmes originaires de la Syrie y ont mis à profit leur savoir-faire culinaire. Ensemble, elles ont confectionné mezzé et kebbé, hommos et feuilles de vigne, baklawas et basbousé. Ensemble, elles ont apprivoisé une nouvelle culture et un pays neuf. Ensemble, elles ont ravivé souvenirs et mémoire culinaire ancrés à leur terre d’origine.

Ensemble. J’insiste sur le mot parce qu’il est au coeur du projet, qui a aussi donné vie à un superbe livre de cuisine, publié tout récemment chez KO Éditions.

« Les Filles Fattoush, c’est au pluriel parce que c’est une équipe, une communauté. Certaines sont toujours avec nous, d’autres ont trouvé un autre emploi. Mais toutes, elles font partie de notre grande famille », précise Adelle, qui a immigré à Montréal il y a près de 20 ans.

Au fil des chapitres, et des recettes ensoleillées, on découvre le visage de Rana, Wiam, Tamar, Gada, Amas, Seba, Maria, Nourma, Arpik. Sous leur photo, une parcelle de leur histoire. Lumineuse, la parcelle. « On souhaitait raconter une bribe du parcours de chacune et évoquer les particularités de leur cuisine. »

Les déchirures et les cicatrices qu’a laissées la guerre ont volontairement été mises de côté.

« Quand on entend parler de la Syrie, c’est tout le temps négatif : le sang qui coule, la violence du conflit, les traversées difficiles en bateau. On voulait montrer autre chose, on souhaitait mettre les femmes en lumière. »

Ces femmes qui brillent dans l’écrin des locaux Fattoush, où elles peuvent partager des souvenirs, des façons de faire. Raconter comment leur mère, leur tante ou leur grand-mère apprêtait tel plat, tel dessert. Échanger sur différents sujets, apprendre de nouveaux mots français, retrouver le plaisir de mettre la main à la pâte (à pita !). Faire revivre un peu de la beauté de la Syrie. Ici.

« C’est toujours un plaisir de se réunir pour partager un repas, mais c’en est aussi un de se retrouver pour cuisiner ensemble. Quand on est deux ou plusieurs à préparer un mets, on crée une ambiance, un partage. On passe du bon temps, on fabrique des souvenirs. »

Chez les Filles Fattoush, entre la

confection de labneh et l’assemblage d’épices à shawarma, on tisse aussi une solidarité.

« La relation entre les femmes, chez nous, elle est vraiment magnifique, il y a un côté humain indissociable de notre compagnie. On apporte du positif dans la vie quotidienne des femmes qui viennent travailler chez nous. Parce que pour plusieurs d’entre elles, c’est difficile de trouver un emploi. Elles ne parlent pas encore la langue française, elles sont encore en adaptation. En venant oeuvrer chez nous, elles sortent de leur maison, elles acquièrent une certaine indépendance financière. Elles partagent leur vécu et à travers la cuisine de leur enfance, elles créent un pont vers la société qui les accueille. »

Une société dont elles ignoraient parfois tout avant de venir y trouver refuge.

« Certains Syriens sont arrivés au Canada alors qu’ils ne savaient pas où se trouvait ce pays ni quelles étaient ses particularités. Quand on dit que les réfugiés ont dû fuir, c’est vraiment ça : fuir. Ils n’avaient pas le choix. Leur maison était brûlée, peut-être. Leur quartier était détruit. Ils ne pouvaient tout simplement pas rester là. »

Ils ont trouvé ailleurs une paix d’esprit tout autant qu’un environnement à apprivoiser.

« La vie quotidienne se transforme complètement, pour les réfugiés. Tout est différent au Québec. Le métro, les autobus, les adresses postales, les cartes bancaires. Et le prêt-à-manger n’existe pas en Syrie. C’est pour ça que les femmes sont talentueuses et savent cuisiner. Leur mode de vie ne permet pas d’autres

raccourcis que celui de faire soimême les choses. D’une génération à une autre, le savoir-faire et les recettes familiales se transmettent. Les mets sont évidemment très authentiques. »

Et s’ils ravissent autant les papilles, c’est peut-être parce qu’ils viennent du coeur.

« Les Filles Fattoush, c’est beaucoup plus que de la cuisine syrienne. C’est un partage de culture. Une humanité. Une entreprise de coeur, oui. Je suis mère de trois enfants, mais pour moi, cette entreprise, c’est mon 4e bébé. J’en prends soin, je l’aime au quotidien. »

LE MAG

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2021-10-16T07:00:00.0000000Z

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