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L’HISTOIRE MOUVEMENTÉE DE LA MAGIE

JEAN-SIMON GAGNÉ jsgagne@lesoleil.com

Les magiciens ont fait disparaître des lapins, des éléphants et même la statue de la Liberté. Mais ils ont toujours refusé de disparaître. On profite de la publication d’une Histoire de la magie, par le maître David Copperfield, pour revenir sur le parcours mouvementé d’un art millénaire. (1) Une brève histoire de la magie en six étapes.

1 HARRY HOUDINI : LA CHUTE DU SUPERHÉROS

Cent ans plus tard, la mort du célèbre Houdini reste entourée de mystère. Le « superhéros » semblait invincible. Un jour, il avait plongé dans une rivière après s’être fait menotter les mains derrière le dos par des policiers. Plus tard, alors qu’il était immobilisé par une camisole de force, il s’était allongé dans un cercueil que l’on avait soigneusement cloué. Puis, le tout avait été enfoui sous six pieds de terre. Rien à faire. Houdini était ressorti vivant…

Houdini se vantait toujours de pouvoir encaisser n’importe quel coup au ventre. Jusqu’à ce que le 12 octobre 1926, à Montréal, un « admirateur » lui donne plusieurs coups de poing dans l’abdomen. Les jours suivants, le magicien se plaint de violentes crampes au ventre. Brûlant de fièvre, il insiste pour remonter sur scène. The

Show Must Go On. Le 24 octobre, il s’effondre à la fin d’un spectacle. Conduit à l’hôpital, il meurt le 31, jour de l’halloween, probablement d’une rupture de l’appendice. (2)

La légende Houdini est en marche. Avec le temps, son nom devient le synonyme d’un exploit improbable. Sans compter que les circonstances de sa mort suscitent la controverse. Des enquêteurs prétendent qu’il a été empoisonné, possiblement par des adeptes des sciences occultes. (3) Pour les provoquer, Houdini faisait circuler un photomontage qui le montrait en compagnie du fantôme de l’ancien président Abraham Lincoln.

Durant des années, le jour de l’halloween, la veuve de Houdini tiendra une séance de spiritisme dans l’espoir que ce dernier lui fasse signe. La légende veut qu’houdini lui ait laissé un code, « Rosabelle, Believe », pour la contacter depuis l’au-delà. En 1936, la malheureuse finit par renoncer. Mais pas les fanatiques d’houdini. Encore aujourd’hui, ceux-là se réunissent tous les 31 octobre, juste au cas où…

À chaque « séance », une paire de menottes verrouillées est placée sur une table, au centre de l’assemblée. Tout le monde sait bien que la première chose que fera le grand Houdini, s’il revient sur Terre, ce sera d’ouvrir les damnées menottes.

2 ROBERTHOUDIN : SANS FUMÉE SANS ALCOOL, JE VOLE

Au commencement, les magiciens étaient vus comme des saltimbanques, qui exerçaient surtout leur art dans la rue. Même le mot « abracadabra » n’existait pas ! Mais grâce à Jean-eugène Robert, alias Roberthoudin, la magie fait son entrée dans les salles de spectacle. Horloger, inventeur, illusionniste, Houdin

est souvent considéré comme le père de la magie moderne. (4)

Houdin fait passer la magie à la vitesse supérieure. Avec lui, le magicien cesse de s’habiller en sorcier, pour adopter le costume de gala. Plus tard, même le grand « Houdini » s’inspirera de son nom. Le prodige invente des gadgets comme le « réveil-briquet », dont la sonnerie déclenche la mise à feu d’une allumette qui « embrase » à son tour une lampe à l’huile. (5) Lors de ses « soirées fantastiques », il présente la « Suspension éthéréenne », une illusion révolutionnaire au cours de laquelle quelqu’un semble suspendu dans les airs.

Les foules se pressent pour voir « l’oranger merveilleux »* de Houdin. Ô miracle, un arbre dénudé se couvre de feuillage. Des fleurs et de vraies oranges apparaissent. Et juste au moment où le public croit avoir tout vu, le magicien donne le coup de grâce. Soudain, la dernière orange restée sur l’arbre s’ouvre. Deux papillons frémissants en sortent, portant un mouchoir que le magicien a subtilisé à une dame dans la salle ! (6)

Son plus grand exploit, Roberthoudin le réalise avec son autobiographie, publiée en 1858. (7) Le livre enjolive son héritage, au point où la légende devient indissociable de la réalité. Par exemple, les historiens doutent fort qu’en 1856, il ait mis fin à une révolte en Algérie en faisant croire à des leaders spirituels (marabouts) qu’il disposait de pouvoirs surnaturels. Une autre illusion. Posthume.

3 L’ÂGE D’OR DE LA MAGIE

Grâce à Robert-houdin et à quelques précurseurs, la magie connaît son âge d’or, quelque part entre 1860 et 1930. Le magicien Buatier de Kolta fait disparaître des objets, grâce à l’utilisation de la lumière et des rideaux de velours noirs. Harry Blackstone popularise la « corde indienne », qui s’élève toute seule dans les airs. Il fait aussi circuler une ampoule allumée dans une salle, sans fil apparent. La « reine de la magie », Adelaide Herrmann, multiplie les acrobaties sur un vélocipède, l’ancêtre du vélo actuel.

Et que dire des tours de cartes, « qui seraient à la magie ce que la poésie est à la littérature » ?

Encore aujourd’hui, la magie puise dans les inventions de ces années fastes. Mais certains numéros vieillissent mal. De nos jours, le truc de l’assistante sciée en deux n’impressionne plus guère. (8) Pour ajouter à la difficulté, le magicien sérieux utilisera une boîte transparente. Et il veillera à présenter son numéro avec humour. Du genre : « Quand j’étais enfant, je faisais souvent le truc de la femme sciée en deux, dans une boîte. Et j’ai plusieurs demi-soeurs pour le prouver. »

Quelques numéros ont aussi mauvaise réputation. À commencer par la « balle magique », qui voit le magicien attraper une balle d’un fusil. La manoeuvre a coûté la vie au célèbre William Robinson, alias Chung Ling Soo, qui se faisait passer pour un illusionniste chinois. Jamais le magicien ne prononçait un mot sur scène, pour ne pas trahir sa véritable identité. Jusqu’au 24 mars 1918. Ce soirlà, quelques instants après que ses assistants aient tiré sur lui, le public entend pour la première fois la voix du magicien.

« Oh, mon Dieu. Quelque chose vient de se produire. Fermez le rideau. » (9)

Ça continue. En 2016, le magicien David Blaine a failli mourir lors d’un numéro de balle magique qui a mal tourné. « Quand la balle a frappé la petite coupe [NDLR Qui servait de cible dans sa bouche], je me suis mis à entendre un son strident et j’ai senti un choc au fond de la gorge, a-t-il expliqué. J’étais sûr que la balle m’avait traversé la tête [...]. La douleur m’a ramené à la réalité. J’ai réalisé que mon protecteur buccal avait éclaté et que j’étais vivant. » (10)

4 LA MAGIE ET LA SCIENCE: LES SCEPTIQUES NE SONT PAS TOUJOURS CONFONDUS

« La magie […] transporte les gens dans un monde où l’impossible devient possible », écrit le magicien David Copperfield dans sa récente

Histoire de la magie. (11) Et Copperfield sait de quoi il parle. En 1983, il a réussi à faire disparaître la statue de la Liberté...

Reste que le grand miracle reste Copperfield lui-même. Monsieur aurait amassé une fortune estimée à 870 millions $. (12) En 2019, il a donné 682 spectacles au casino MGM Grand de Las Vegas. Une vraie usine de magie ! Au passage, Copperfield a fait l’acquisition de plusieurs îles des Bahamas, qu’il loue à des célébrités. Sauf qu’à 37 500 $ pour une nuit, les mauvaises langues parlent de magie noire... (13)

Ne nous égarons pas. Même si leur métier consiste à faire des miracles, bon nombre de magiciens restent proches de la science. Robert-houdin étudiait l’électromagnétisme. George Méliès est devenu l’un des pionniers des effets spéciaux au cinéma. Et plusieurs recherches en psychologie font appel à la magie pour étudier les perceptions humaines. (14)

Les accrochages entre les magiciens et les adeptes des sciences occultes couvriraient des pages. De 1996 à 2015, le magicien James Randi s’était engagé à donner 1 million $ à quiconque pourrait lui démontrer – preuves scientifiques à l’appui – l’existence de phénomènes paranormaux. Un millier de « preuves » lui furent soumises. Le prix ne fut jamais attribué… (15)

James Randi était un maître de l’illusion. Un jour, il s’était libéré d’une camisole de force, suspendu au-dessus des chutes du Niagara. Cela ne l’empêchera pas d’être à l’origine du mouvement des Sceptiques, notamment avec le physicien Carl Sagan. (16) « Je comprends pourquoi des gens ne croient pas à la magie, disait-il. Mais je ne comprends pas pourquoi les mêmes gens croient aux vertus illimitées du gouvernement, de l’entreprise privée ou de la religion... »

5 LES DIVULGÂCHEURS : CHÉRIE, J’AI RÉTRÉCI LA MAGIE

Depuis la nuit des temps, des gens dévoilent les secrets des magiciens. D’autres annoncent périodiquement la mort de la magie. Dès 1920, l’inventeur Guy Jarret déplore que la magie ait été « assassinée » par... les mauvais magiciens. (17) Encore un peu, et l’on voit surgir l’amateur qui se fait mordre par le lapin qu’il sort du chapeau. Ou le maladroit qui s’étouffe avec la balle de ping-pong dissimulée dans sa bouche.

En 1998, un magicien masqué crée un scandale en révélant plusieurs secrets de la magie lors d’une série sur la chaîne de télévision Fox : Breaking the Magician’s Code. Le scélérat explique même comment faire disparaître un éléphant sur scène ! (18) La Société des magiciens américains demande à Fox de renoncer à la diffusion. On saisit la justice. En vain. Personne ne parvient à faire disparaître le divulgâcheur…

Ce n’est qu’un début. Bientôt, la haute définition et l’hyperralenti permettent de décortiquer les mouvements rapides. Sans compter que les principaux tours sont expliqués en détail, sur Internet. La magie est-elle en danger ? Une fois de plus, on annonce sa fin. « La magie est un art […] convenu et qui va mourir bientôt, déclare le metteur en scène Serge Denoncourt à

La Presse. Plus rien ne nous jette vraiment à terre […]. » (19)

« La magie a dû s’adapter, se réinventer, convient le magicien québécois Alain Choquette. Ce que le magicien masqué a divulgué, ce sont les grands numéros de scène. Il y en a moins aujourd’hui. La magie actuelle repose davantage sur l’ambiance et sur les émotions. Les numéros les plus réussis sont ceux qui transportent le public, qui l’amènent ailleurs. La magie ne constitue que le point d’exclamation final. » (20)

En résumé, comme le disaient deux magiciens des années 50 : « Si vous pensez qu’il n’y a pas de truc, c’est fort, mais si vous pensez qu’il y a un truc, alors c’est encore plus fort ! »

De nos jours, les frontières de la magie s’estompent. Où finit l’illusion ? Où commence la réalité ? L’américain David Blaine se décrit comme un « artiste d’endurance ». En novembre 2000, il a passé plus de 62 heures enfermé dans un cube de glace suspendu au-dessus de Times Square, à New York. (21) Plus récemment, il s’est envolé à 5500 mètres d’altitude, accroché à un bouquet de 42 ballons gonflés à l’hélium.

Pour sa part, le Britannique Derren Brown se présente comme un adepte de « l’illusionnisme psychologique ». Il représente un courant très populaire du « mentalisme ». Aux frontières du bon goût et de l’éthique. Monsieur a joué à la roulette russe devant des millions de téléspectateurs pétrifiés. Ne reculant devant rien, il a convaincu trois volontaires hypnotisés de commettre un vol à main armée. Une façon de démontrer la fragilité humaine, dira-t-il. (22)

À ne pas confondre avec Criss Angel, alias « le mauvais garçon de la magie ». Au début, Angel s’était donné comme mission de faire sortir la magie dans la rue. Pour célébrer l’anniversaire de sa mère, il se transforme en torche humaine, sous ses yeux. (23) Plus tard, il se fait rouler dessus par un rouleau compresseur. On l’a déjà vu mettre un serpent dans le sac d’une admiratrice.

Par moment, le spectateur se sent aussi déstabilisé que le perroquet d’une célèbre blague. Souvenezvous. L’histoire commence ainsi : « Il était une fois un magicien qui donne des spectacles sur un navire de croisière. Tout se passe bien, jusqu’à ce que le perroquet du capitaine comprenne ses trucs. Dès lors, l’oiseau ne cesse de l’interrompre, en plein spectacle. Du genre : “il cache une carte sous la table ! ” »

Les remarques du perroquet rendent le magicien furieux. Il ne peut rien faire, puisque l’oiseau appartient au capitaine. Le magicien songe à démissionner lorsqu’un jour, le navire fait naufrage. Comble d’ironie, les deux ennemis se retrouvent en mer, accrochés sur une poutre de bois. Ils ne veulent même pas s’adresser la parole.

Un jour passe. Puis, deux. Finalement, au bout de trois jours, le perroquet s’exclame : « D’accord, j’abandonne. Où est le bateau ? »

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