LeQuotidienSurMonOrdi.ca

L’INDUSTRIE DU JEU VIDÉO VICTIME DE SA CROISSANCE

MARIE-SOLEIL BRAULT msbrault@lesoleil.com

Le Québec est le cinquième pôle mondial du jeu vidéo, et n’est pas près d’être détrôné. Depuis 2019, l’appétit des consommateurs n’a fait qu’augmenter et le Canada a su répondre à la demande: les entreprises ont généré des revenus de 4,3 milliards $, une croissance de 20 % depuis 2019. Et la province reste le plus important employeur au pays.

En avril 2021, Accenture a publié un rapport sur l’industrie du jeu vidéo mentionnant qu’à l’échelle mondiale, la valeur totale du secteur s’élevait à plus de 300 milliards $ US, dépassant celles de la musique et des films combinés.

En octobre dernier, c’était au tour de l’association canadienne du logiciel de divertissement (ALD) de faire un bilan national. Le constat : la demande pour du contenu vidéoludique canadien est insatiable.

À tel point que, même si l’industrie a pu éviter des mises à pied lors de la pandémie, le bassin de ressources spécialisées n’est pas suffisant pour pourvoir à la demande et « le temps de formation n’est pas toujours capable de répondre aux besoins de l’industrie assez rapidement », explique la directrice de Québec EPIX, Josiane Côté-paquet.

Jayson Hilchie, présidentdirecteur général de L’ALD, ajoute que « le Québec a comblé près de 1000 emplois dans les deux dernières années, et la majorité durant la pandémie. Par contre, en ce moment, près de 2000 postes sont à combler à Montréal. »

Et si l’industrie avait pu pourvoir tous les postes ouverts, autant à Québec qu’à Montréal, « la province aurait probablement pu engager 3000 personnes et ça aurait été parmi les deux meilleures années », indique-t-il.

DE NOUVELLES POUSSES

Toutefois, cela n’a pas empêché le Québec d’être un terreau fertile pour la création de studios.

« En 2021, 937 entreprises de jeux vidéo actives ont été identifiées au Canada, une augmentation de 35 % depuis 2019. Une grande partie de cette croissance s’est produite en Ontario et au Québec, qui ont augmenté le total national de 137 entreprises actives », fait état l’étude de L’ADL.

Pour ses 298 studios, l’ontario compte 7000 employés. Pour près du même nombre de studios, 291, le Québec héberge 13 500 emplois directs dans l’industrie.

M. Hilchie explique que la raison pour laquelle le Québec reste chef de file quant aux taux d’employabilité est due au crédit d’impôt instauré par l’ex-premier ministre du Québec, Bernard Landry. Le programme permet de rembourser jusqu’à 37,5 % des salaires des employés ou des sous-traitants éligibles pour le travail effectué sur des productions multimédias.

« Avec la créativité et la culture qui existaient déjà au Québec, cette politique a permis à l’industrie de monter en flèche », ajoute M. Hilchie, aussi fondateur et PDG du studio indépendant Manavoid.

En 1997, Ubisoft s’installe à Montréal. En 2005, à Québec. Depuis, le géant s’enracine un peu partout dans la province, dont au Saguenay et, récemment, à Sherbrooke. Des enseignes comme Beenox, Behavior, Frima et Eidos font désormais partie du décor quotidien de la métropole et de la capitale.

« Donc, à ce stade, la raison pour laquelle le Québec est si porteur, c’est simplement parce que la grappe [de studios] est comme une boule de neige qui dévale une colline, conclut Jayson Hilchie. Et personne n’a à pousser. Ça roule tout seul. »

ACADÉMIE TECHNOLOGIQUE

Québec EPIX fête son 10e anniversaire. Chapeauté par Québec International, le créneau rassemble les entreprises technocréatives de la région de Québec afin de stimuler leur compétitivité et « accélérer leur positionnement sur la scène internationale en générant des synergies d’affaires et d’innovation avec les partenaires de l’écosystème ».

En d’autres mots, son objectif principal vise le développement économique de l’industrie du jeu vidéo, de l’animation et de l’expérience immersive dans la région de Québec « et de s’assurer qu’on adresse les enjeux communs ensemble », précise la directrice, Mme Côté-paquet.

Et les enjeux pour les

prochaines années se résument, entre autres, à faciliter le discours entre les programmes d’enseignement et l’industrie, afin que les besoins de celle-ci soient reflétés lors du cursus ainsi que l’attraction de talents internationaux. Et en particulier des travailleurs expérimentés, mentionne-t-elle.

Au sein de la Guilde du jeu vidéo du Québec, un OBNL regroupant 245 intervenants du milieu, on s’accorde pour dire qu’il ne faut pas sous-estimer l’importance d’offrir des formations technologiques aux plus jeunes générations, et ce, même à partir du primaire.

« On a besoin de plus de diversité dans les équipes. Les gens qui tendent vers la programmation sont souvent des hommes et des personnes blanches, remarque le président de la Guilde, Christopher Chancey. Alors, je pense que si on allait dans des écoles primaires et secondaires, et qu’on commençait à donner cette passion et à montrer à quel point les emplois dans l’industrie du jeu vidéo sont non seulement bien payés, mais qu’en plus tu peux utiliser ta créativité, les gens arrêteraient de croire la notion que l’industrie n’est pas porteuse. »

Il observe toutefois que de l’éducation est à faire sur ce qu’il se passe derrière les rideaux du 10e art.

« Il y a vraiment des emplois pour tout le monde : business, marketing, animation, modelage, art, design, programmation, c’est tout ensemble dans une belle danse. Mais j’entends souvent des étudiants dire qu’ils doivent convaincre leurs parents qu’ils veulent vraiment aller là-dedans », déplore-t-il.

Les gens connaissent et comprennent les engrenages derrière la production d’un film. Ce que le perchiste, le réalisateur ou le caméraman doit faire. « Et ça aide à apprécier l’oeuvre. Mais ce n’est pas le cas des jeux vidéo, car la production est beaucoup plus opaque, témoigne-t-il. Je pense que comprendre comment la saucisse se fait pourrait permettre aux gens d’avoir une appréciation plus mature pour le média. Pour qu’ils réalisent à quel point ce sont des produits complexes. C’est un petit miracle de réussir à coordonner une quinzaine de différents quarts de métier ensemble, avec élégance, pour faire un produit cohérent. »

PAS DE CHICANE DE CLÔTURE AU QUÉBEC

Les jeux vidéo sont un produit d’exportation. Et contrairement au marché compétitif des États-unis, le Québec mise plutôt sur la collaboration entre les acteurs du milieu.

M. Chancey compare même la relation entre Québec et Montréal à un modèle d’économie sociale.

« On ne compétitionne pas vraiment localement pour la même main-d’oeuvre ou pour la même démographie. Nos joueurs sont aux États-unis, en Europe, en Asie. Il y a tellement de genres de jeux vidéo, que ça amène une belle collaboration entre pas mal tous les studios. Et ça, c’est unique à notre industrie et au Québec particulièrement. On devient collectivement plus intelligent pour vendre nos produits et ça va être porteur pour tout ce qui est propriété intellectuelle québécoise dans le futur. »

Le président de Québec EPIX, Renaud Sylvain, aussi fondateur de Happy Camper Média, un studio d’animation 2D, a la même vision. Il met un point d’honneur à souligner l’importance de la propriété intellectuelle, « afin de contrôler toutes les étapes de création, du développement jusqu’à l’exploitation », autant d’une série d’animation que d’un jeu vidéo.

Québec EPIX prêche justement par l’exemple. Avec l’élan qu’offre la demande actuelle, le créneau veut concerter les acteurs de l’industrie créative « pour voir quel genre de modèle d’affaires attend l’industrie et comment repenser le financement des projets, indique M. Sylvain. Tout ça dans le but d’être des créateurs de propriétés intellectuelles pour lesquels nous serons propriétaires. »

Les propriétés intellectuelles originales nécessitent des distributeurs pour être connues, puisque ces derniers contribuent aux financements du jeu pour le compléter et aider au marketing. « Mais à la fin, ils mettent la main parfois sur toute la propriété ou des royautés. Ils vont prendre 40 % ou 50 % des royautés. Ça fait qu’on ne maximise pas notre créativité », précise le président du conseil d’administration du Centre de développement et de recherche en intelligence numérique, Pierre Moisan.

L’ancien producteur chez Ubisoft croit qu’une des étapes clés pour le développement de l’industrie québécoise vidéoludique est la création d’un distributeur québécois « afin que la rentabilité et les profits restent ici. »

« Dans un monde idéal, ce serait bien que l’argent du profit, la moitié qu’on donne aux éditeurs américains ou européens, si ça pouvait rester au Québec, on maximiserait le retour sur investissement de notre créativité », conclut-il.

AFFAIRES

fr-ca

2021-12-04T08:00:00.0000000Z

2021-12-04T08:00:00.0000000Z

https://lequotidien.pressreader.com/article/281925956299549

Groupe Capitales Media