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L’IMPOSANT LEGS DE GUY ROCHER

NORMAND PROVENCHER nprovencher@lesoleil.com

Après une imposante trilogie sur Jacques Parizeau, l’exministre Pierre Duchesne vient de terminer la rédaction du second et dernier tome consacré à «l’un des phares de la société québécoise contemporaine», le sociologue Guy Rocher. L’ouvrage s’attarde particulièrement à l’impact déterminant de cet intellectuel sur la refonte du système scolaire et la protection de la langue française, dans les années 60 et 70. Pour le Jonquiérois d’origine, les méthodes journalistiques ne sont jamais loin.

Un éveilleur de consciences, l’un des derniers «révolutionnaires tranquilles », une inspiration pour le milieu scolaire québécois au même titre que Gilles Vigneault pour le monde culturel. Les qualificatifs ne manquent pas à Pierre Duchesne lorsqu’il s’agit de décrire le sociologue Guy Rocher. Et pour cause. L’homme a présidé dans l’ombre de grandes refontes de la société depuis la Révolution tranquille. Le Québec moderne lui doit beaucoup.

Pour l’ancien journaliste, l’idée d’écrire la biographie de cet intellectuel de haut niveau, reconnu pour sa grande discrétion, s’est imposée d’elle-même au vu de ses réalisations dont les jeunes générations ne soupçonnent pas l’ampleur. L’ouvrage lui permettait par le fait même de survoler l’histoire du Québec des 60 dernières années et de mesurer le chemin parcouru.

« C’est un personnage qui a participé aux grands rendez-vous et en a provoqué à sa façon. C’est un personnage repère, un homme d’engagement qui a le sens des responsabilités, explique l’exministre péquiste, en entrevue dans un café de l’avenue Cartier. Ce qui est intéressant, c’est qu’il n’avait pas une ambition dévorante, mais il a répondu à des appels et a contribué de façon remarquable » à l’édification du Québec contemporain.

RAPPORT PARENT

Dans ce second volume, Pierre Duchesne s’intéresse au rôle du réputé sociologue au sein de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement, qui devait aboutir au rapport Parent. Cette fonction devait le « définir comme personnage public ». Le rapport a mis un terme à l’hégémonie du clergé catholique sur le système d’enseignement et donné naissance au ministère de l’éducation.

Pour Guy Rocher, ce virage était plus que nécessaire en raison de la sous-scolarisation de la population canadienne-française de l’époque, les collèges classiques n’étant accessibles qu’à une minorité de jeunes. Les fils d’ouvriers et d’agriculteurs étaient laissés pour compte. L’éducation supérieure était une affaire réservée à la « petite bourgeoisie ».

« Aux États-unis, où la condition des Noirs américains n’est guère enviable, ces descendants d’esclaves, qui doivent vivre dans un régime ségrégationniste, avaient pourtant accumulé en 1960 une année de scolarité de plus, en moyenne, que les francophones du Québec », relate Duchesne dans son ouvrage, citant l’économiste Pierre Fortin.

Devant cet électrochoc, les soutanes et les cornettes se sont agitées autour du Parlement, rappelle Duchesne. « Jean Lesage a donné son rapport à l’archevêché et au cardinal. Aujourd’hui, ce serait un outrage à l’assemblée nationale. On ne pensait pas qu’il allait remettre aussi rapidement en question l’autorité des évêques. »

LA CRISE D’OCTOBRE, UN DÉCLIC

Dans la foulée de l’élection du Parti québécois en 1976, c’est à Guy Rocher, « son ami du cours classique », que le ministre Camille Laurin fait appel pour l’élaboration de la Charte de la langue française qui devait conduire l’année suivante à l’adoption de la loi 101.

Encore aujourd’hui, Guy Rocher croit que la législation assurant la prédominance du français aurait dû être étendue aux cégeps, voire jusqu’à l’université, comme il l’a fait savoir en commission parlementaire en septembre dernier.

« Les gens n’en sont peut-être pas conscients, explique Pierre Duchesne, mais déjà d’adopter la loi 101, de forcer tous les nouveaux arrivants à aller à l’école française, c’était ouvrir un nouveau chantier qui renversait les habitudes anciennes. On ne pouvait pas tout faire en même temps. »

Proche de René Lévesque lors de la formation du Mouvement Souveraineté-association, Rocher a pris un certain temps avant de se convertir à l’indépendance. La Crise d’octobre de 1970, et particulièrement l’emprisonnement du syndicaliste Michel Chartrand, a été le « déclic ».

Avant cela, explique Pierre Duchesne, le sociologue se décrivait comme un « fédéraliste fatigué », mais malgré tout convaincu que le Canada pouvait se réformer.

Aujourd’hui, son jugement est sans appel. « Ce n’est pas dans le Canada que le Québec a un avenir. Tant qu’on est dans ce “carcan canadien”, on va avoir un problème linguistique, si ce n’est pas une crise », écrit Pierre Duchesne.

QUÊTE DE VÉRITÉ

Le pavé de plus de 600 pages a été rédigé par l’ancien journaliste de Radio-canada, aujourd’hui chargé de cours en communication publique à l’université Laval, à partir d’une recherche intensive dans les archives, journaux, correspondances et documents de l’époque. L’auteur a mené plus d’une cinquantaine d’entrevues avec des amis, collègues et membres de la famille de Rocher, dont ses quatre filles. Même s’il s’agit d’une biographie non autorisée, en ce sens que le sujet d’étude n’a pas eu droit de regard sur le manuscrit, le principal intéressé a généreusement collaboré au projet dès le début.

« Ma formation m’incitait à mener une enquête et à dévoiler des choses que peut-être lui-même n’aurait pas dévoilées », mentionne le biographe, en pensant au divorce de Rocher, qui a remis en question « un paquet de ses valeurs catholiques ».

« Je ne voulais pas un travail qui soit juste une suite de faits, une chronologie un peu froide, un ouvrage trop académique. Il fallait que ce soit un récit, dans le vivant. Je ne voulais pas être prisonnier de la seule version du sujet d’étude. Je crois qu’un biographe doit raconter. Comme journaliste, il fallait que ce soit une quête de vérité. »

CAUTION MORALE POUR JOLIN-BARRETTE

À 97 ans « et demi », précise Pierre Duchesne, Guy Rocher demeure « très éveillé » et au fait des débats dans la société québécoise. Son opinion compte toujours pour les décideurs. Le ministre Simon Jolin-barrette s’est d’ailleurs rendu à son domicile de L’île-des-soeurs pour discuter de son projet de loi 21 sur la laïcité de l’état.

« L’appui d’un intellectuel de cette envergure, ça aide, soulignet-il. Les deux hommes ont de bons rapports. Rocher espère qu’il ira le plus loin possible. »

Il a même invité le jeune ministre à devenir le « Camille Laurin de la CAQ ».

Pour Guy Rocher, l’appui à cette législation visant à rendre l’état laïc n’a rien à voir avec une vision péjorative des autres religions, mais plutôt avec la nécessité d’évacuer toute religion de l’espace public, comme c’était le cas pour le clergé au milieu du siècle dernier. « Difficile de la traiter d’anti-musulmane parce qu’il y a une cohérence, peu importe la religion. À l’époque, c’était la religion catholique qui était visée. »

Dans ce débat qui polarise les opinions, Pierre Duchesne estime que la parole de Guy Rocher, du haut de sa vaste expérience, doit être entendue, lui qui a « toujours été d’une totale constance » et « fidèle à luimême et à ses convictions ».

« Ce n’est pas un personnage qui cherche le conflit ou qui entretient l’animosité, mais qui favorise l’écoute et la délibération. »

« Je ne voulais pas un travail qui soit juste une suite de faits, une chronologie un peu froide, un ouvrage trop académique. Il fallait que ce soit un récit, dans le vivant [...] Comme journaliste, il fallait que ce soit une quête de vérité.» — Pierre Duchesne

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