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Plus heureux au soleil ?

MARC ALLARD CHRONIQUE mallard@lesoleil.com

Les bras surchargés de sacs d’épicerie, j’allais enfin déposer les paquets dans le coffre de l’auto. Mais le coffre n’ouvrait pas. Il était gelé.

Maudit hiver ! , ai-je grommelé. On serait-tu bien en Floride !

De temps en temps, ça m’arrive comme ça de bougonner contre les désagréments hivernaux, et de me demander si la vie serait plus agréable à Fort Lauderdale ou à Yuma, Arizona, ville la plus ensoleillée au monde, où le ciel est dégagé 90 % du temps et la camisole est reine ?

Je n’ai malheureusement trouvé aucune comparaison entre le niveau de bonheur des résidents de Québec et de Fort Lauderdale (ni de Yuma). Mais un scientifique de renom s’est penché précisément sur ce genre de question : les gens qui vivent dans une contrée plus ensoleillée sont-ils plus heureux ?

À la fin des années 90, le prix

Nobel d’économie Daniel Kahneman et son collègue David Schkade ont demandé à près de 2000 personnes d’évaluer leur niveau de satisfaction dans la vie en général et celui de ceux qui ne vivaient pas dans la même région qu’eux. La moitié des répondants habitaient dans le frisquet Midwest américain (Michigan, Ohio) et l’autre moitié dans le sud de la Californie.

Devinez qui était le plus heureux ? Aucun : les deux groupes affichaient le même niveau de satisfaction à l’égard de leur vie. Mais... tout le monde pensait que les Californiens étaient plus heureux, notamment en raison du climat ensoleillé. Bref, la météo compte beaucoup moins pour votre bonheur que vous pensez.

Pour Kahneman, cette erreur de raisonnement vient d’un biais très fréquent chez les humains qui s’appelle « l’illusion focale ». Ce biais se produit lorsqu’on exagère l’importance d’un aspect sur lequel on focalise (comme la météo) en ignorant tout le reste (la famille et les amis, par exemple).

Disons que vous êtes retraité et que la bordée de neige qui s’est accumulée dans votre entrée un matin vous fait rager. En pelletant, vous rêvez de vous établir en Floride. Vous en parlez à votre blonde ou votre chum : chéri.e, on déménage-tu à Fort Lauderdale ? Puis, vous décidez de faire le saut, vous achetez un condo et vous vous installez làbas. Fini l’hiver !

Serez-vous plus heureux ? Au début, oui. Les changements positifs dans nos vies s’accompagnent en général d’une période de lune de miel. Mais après un certain temps, on s’ennuie, même au paradis.

Imaginez, on s’adapte même à quelques millions de plus dans notre compte en banque. En 1978, une étude célèbre du psychologue Philip Brickman et ses collègues a montré que 18 mois après avoir gagné à la loterie, les vainqueurs n’étaient pas plus heureux que les gratteux malchanceux...

On court tous sur ce que des psychologues appellent un

« tapis roulant hédonique ». On travaille fort pour combler nos désirs. Mais une fois qu’ils sont comblés, ils deviennent la norme et on finit par se lasser. Puis, hop, on remonte sur le tapis roulant.

On peut toutefois contourner le problème du tapis roulant en limitant les plaisirs dans le temps. En ce sens, les snowbirds ont peut-être raison. En séjournant quelques mois en Floride ou au Mexique, ils profitent d’un gain de bien-être qui est peut-être assez court pour ne pas s’étioler.

Ceux qui doivent rester au Québec ne sont pas obligés de bougonner tous les hivers en attendant la retraite. Il suffit de savoir profiter de la saison froide.

En 2016, j’ai fait une entrevue fascinante avec Kari Leibowitz, une doctorante en psychologie sociale qui avait passé presque un an à Tromsø, une ville norvégienne au-dessus du cercle polaire où il fait noir le quart de l’année.

Elle avait été étonnée de constater que, là-bas, les gens ne voient pas l’hiver comme une saison à subir, mais à chérir. Ils piaffent de rechausser leurs skis de fond et leurs skis alpins. Ils réclament leur bol d’air froid pour se revigorer le corps et l’esprit. Toute occasion est bonne pour allumer des bougies, se glisser sous des couvertures, siroter des boissons chaudes et manger des biscuits.

Les Norvégiens ont un mot pour désigner ce genre d’activités douillettes : le koselig, qui se rapproche de confort en français et qui est sans doute un proche cousin du hygge danois.

« Il faut commencer par s’habiller chaudement, aller dehors et arrêter de se plaindre de la température, m’avait conseillé Kari Leibowitz. Et ensuite, voir ce que l’hiver a à offrir de mieux. »

SUMARIO

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2021-12-04T08:00:00.0000000Z

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