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FUIR L’HORREUR DE LA GUERRE POUR VOIR GRANDIR SES ENFANTS

MÉLANIE NOËL melanie.noel@latribune.qc.ca

C’est une histoire de guerre. D’un pays qu’elles ne voulaient pas quitter. Encore moins sans ceux qu’elles aiment. Elles l’ont fait pour les enfants, pour éviter qu’ils vivent des traumatismes inguérissables. Ou pire encore. Grâce à un lien d’amitié et à toute une communauté qui s’est mobilisée, elles s’installent tranquillement en terre d’accueil, à Sherbrooke. C’est l’histoire de Liudmila et Kseniia.

Liudmila s’est fait réveiller le 24 février par un grand vacarme dans son immeuble à condos de la ville de Vinnitsia, située au sud-ouest de Kyiv. « On a regardé dehors et on a vu tous nos voisins qui remplissaient leur voiture. Femmes, enfants et quelques valises, ils quittaient la ville à la suite des premiers bombardements », explique la maman de Mariia, 1 an, et épouse de Maksym, un ingénieur mécanique de 39 ans.

« Nous n’avions pas de voiture, alors nous sommes restés à la maison. Aussi, on ne voulait pas partir, c’était chez nous, on avait nos emplois, nos vies étaient là. On ne réalisait pas encore l’ampleur de la situation », ajoute la femme de 39 ans qui est agroéconomiste.

À Sherbrooke, son amie d’adolescence établie au Québec depuis une vingtaine d’années est très inquiète. Depuis le début de la révolution en 2014, Tetyana suit les nouvelles, soirs et matins, pour savoir ce qui se passe dans son pays natal. Quand la menace russe s’intensifie dans les jours précédents l’invasion, elle suit l’avancement des troupes en direct à distance. « Quand j’ai vu le 24 février que les bases militaires de ma ville avaient été bombardées, j’ai contacté mon amie », explique celle qui, comme tous les Ukrainiens vivant à l’étranger, ressent une grande impuissance.

Plusieurs fois, jours et nuits,

Tetyana appelle son amie en Urkraine pour la convaincre de quitter le pays pour se mettre en sécurité. « Il n’était pas question qu’elle parte sans son mari. Elle a été très claire », explique Tetyana, qui est venue vivre au Québec après avoir épousé un Sherbrookois il y a 21 ans.

Une loi interdit aux hommes de 18 à 60 ans de quitter l’ukraine et même si Maksym avait un billet militaire, depuis 2018, certifiant qu’il n’était pas apte au combat, les autorités refusaient qu’il parte avec sa famille.

Alertes à la bombe. Explosions. Avions de chasse russes dans le ciel. Le mari de Tetyana, Benoît

L’allier, raconte : « Quand cette guerre a commencé, j’ai perdu espoir en l’humanité. Je trouvais que c’était un conflit totalement inutile et injustifiable. Quand l’idée d’accueillir ces familles est née, c’était un moyen pour nous de faire quelque chose de concret, de trouver un sens. »

Bombes cachées dans des jouets d’enfants. Sabotages et maraudages. Couvre-feux obligatoires sous peine de se faire tirer sans avertissement. Cadavres abandonnés dans la rue.

« Quand tu vois un pays éclater, c’est certain que tu veux faire quelque chose, mais à distance, c’est tellement difficile. Au départ,

à très court terme, les Ukrainiens avaient besoin de casques et de gilets pare-balles et on n’a pas accès à ça. Au début mars, quand on a vu tous les gens quitter l’ukraine et qu’on a constaté que la Pologne était débordée, on a décidé d’aider à plus long terme et de se préparer pour accueillir des Ukrainiens ici », résume le couple sherbrookois.

JAMAIS SANS MON MARI

Comme Liudmila refusait catégoriquement de quitter le pays sans son mari, Tetyana a décidé de passer par ce dernier pour la convaincre. « Maksym était d’accord, mais il ne voulait pas que son épouse parte seule avec leur enfant, car il y avait beaucoup d’informations concernant des vols de passeports, des enlèvements d’enfants, et des violences sexuelles. On a donc demandé à son amie Kseniia de l’accompagner, avec son fils Platon, pour d’abord fuir l’ukraine vers la Pologne », explique-t-elle.

« On entendait des histoires de femmes et enfants qui disparaissaient aux douanes », confirme Liudmila.

Finalement, Liudmila, Kseniia et leur enfant, Mariia et Platon, sont partis en autobus vers la Pologne le 11 mars. Pendant cinq semaines, ils ont vécu dans un entrepôt industriel que les Polonais avaient aménagé pour les réfugiés.

« L’ambassade canadienne en Pologne était débordée, alors on a décidé de payer pour les déplacer en France et en Allemagne pour accélérer le processus », note Tetyana, ajoutant que les réfugiés ukrainiens ont habité dans des familles d’accueil dans ces deux pays de transition.

Avec son billet militaire, le père de Mariia a finalement pu quitter l’ukraine le 17 avril. « J’ai dû passer par la Moldavie, la Roumanie, la Hongrie, l’autriche et la République tchèque avant d’atteindre l’allemagne. Mariia ne m’a pas vu pendant un mois et demi. Ça lui a pris deux jours avant de me reconnaître », note le père de famille.

LES SACRIFICES DE KSENIIA

Kseniia n’a pas la chance d’avoir son mari auprès d’elle. « C’est un grand stress de le savoir là-bas », confie discrètement l’ukrainienne de 38 ans, précisant qu’elle ne serait jamais partie si ce n’était de la guerre. Son fils allait au lycée, jouait au soccer, faisait de la natation sportive. Elle était comptable. Son mari travaille dans le milieu industriel et, en ce temps de guerre, il est réserviste.

La veille de son départ pour la France, sa mère est décédée. Une victime collatérale de la guerre. « On a appelé l’ambulance à plusieurs reprises dans les jours précédents son décès, mais malheureusement, comme les hôpitaux débordent de gens blessés par la guerre, un plan de délestage est en vigueur. Les ambulances ne vont plus chercher les malades qui ont un certain âge », souligne-t-elle.

Fille unique, elle n’a pas pu être au chevet de sa mère pour ses derniers moments, car elle était déjà en Pologne. Le lendemain du décès, les funérailles avaient lieu. Elles s’organisent rapidement en temps de guerre. Kseniia était dans l’avion en direction de la France quand un dernier hommage, organisé par son mari, a été rendu à sa mère.

LA FACE LUMINEUSE DE L’HUMANITÉ

« Il y a beaucoup de malheurs, mais plusieurs sont prêts à aider sans rien demander en attente. Des gens qui ne nous connaissent pas nous ont accueillis en Pologne, en France, en Allemagne et maintenant ici », mentionne Liudmila.

Les familles doivent maintenant s’acclimater à une nouvelle vie. « Tout est nouveau pour nous. On est très bien et confortables. On est entourés par des gens qui se préoccupent de nous. On a reçu beaucoup de choses de tellement de gens. Cette aide continue. On est très reconnaissants envers tous les gens qui ont répondu à la demande. Très reconnaissants envers Tetyana aussi », répète Liudmila, qui demeure très inquiète pour tous les autres membres de sa famille et ses amis laissés derrière.

Kseniia acquiesce de la tête. À Sherbrooke, les familles seront hébergées gratuitement pour un minimum de six mois grâce à la générosité de propriétaires d’immeuble. Un commerçant a fourni meubles et matelas. Plusieurs citoyens ont fait don de vêtements, vaisselles, jouets. Les collègues de travail de Tetyana et Benoît ont fait des dons monétaires. L’argent a notamment servi à payer les billets d’avion pour déplacer les familles en Europe puis pour les faire venir au Canada.

Tetyana et Benoît L’allier ont aussi facilité et financé l’accueil d’une troisième femme ukrainienne qui arrivera avec ses deux adolescents le 18 mai.

« Quand j’ai vu l’élan de générosité et l’enthousiasme de la communauté sherbrookoise, ça m’a redonné foi en l’humanité », confie Benoît, espérant que cette initiative privée en inspirera d’autres.

« Ce sont toutes de très bonnes personnes, instruites, qui ont hâte de travailler », souligne Tetyana.

Pour les premiers temps, les trois familles vivront sous le même toit. « On trouvait important que ces familles puissent se soutenir après tout ce qu’elles ont vécu », note Benoît.

C’est une histoire de guerre. C’est aussi une histoire d’entraide, une chaîne de bonté qui redonne espoir en l’humanité.

« C’est un grand accomplissement du coeur », résume Tetyana.

Platon, Kseniia, Maksym, Liudmila et Mariia sont désormais établis à Sherbrooke. — PHOTO LA TRIBUNE, JESSICA GARNEAU

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