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LE GOUVERNEMENT LOIN DE MÉRITER UNE NOTE PARFAITE

ÉLISABETH FLEURY efleury@lesoleil.com

Quand le gouvernement Legault s’est octroyé une note parfaite pour sa gestion de la pandémie de COVID-19, le 3 décembre 2020, la rédactrice indépendante Josiane Cossette et le gérontologue social Julien Simard sont tombés en bas de leur chaise. La décision de publier un livre critique sur cette gestion s’est alors imposée, «ne serait-ce qu’au nom des morts qui ne peuvent plus parler». Et parce que reconnaître ses erreurs est essentiel pour préparer la prochaine pandémie, qui risque d’arriver plus tôt que tard. Gros plan sur Traitements-chocs et tartelettes – Bilan critique de la gestion de COVID-19 au Québec, en librairie depuis mardi.

Sous la direction de Josiane Cossette et de Julien Simard, l’essai de près de 300 pages regroupe les contributions d’une quinzaine d’observateurs de divers horizons qu’on a pu lire ou entendre pendant la pandémie.

Parmi eux, l’ex-journaliste de La Presse André Noël, la physicienne Nancy Delagrave, l’analyste politique Patrick Déry, le journaliste de The Gazette Aaron Derfel, la Dre Joanne Liu, l’enseignante

Violaine Cousineau, atteinte de COVID longue et en arrêt de travail depuis son infection contractée en octobre 2020, et le père de famille Olivier Drouin, qui a lancé l’initiative COVID Écoles Québec.

Bien sûr, tout bilan ne se décline pas en noir ou blanc, convient-on d’emblée dans l’introduction du livre. Les succès de la campagne de vaccination, du moins pour les premières et deuxièmes doses, sont bien réels comparativement à celles d’autres juridictions, souligne-t-on.

Mais comme le premier ministre, ses ministres et le Directeur national de santé publique « sont passés maîtres dans l’art de mettre de l’avant ce qui brille », Josiane Cossette et Julien Simard ont entrepris de « faire la lumière sur certaines zones d’ombre, dont l’ignorance volontaire s’est soldée par d’importants coûts sociaux, économiques et humains, à commencer par le déni répété de la transmission aérienne, digne d’une pièce de Ionesco ».

Les mensonges sur les tests de qualité de l’air, le refus du gouvernement de protéger adéquatement ses « anges gardien.ne.s », le « mépris de la science et des faits », la « négligence criminelle » dans les CHSLD, le « silence-radio » sur la COVID longue, l’« illusion » du couvre-feu, la politisation de la santé publique, tout y passe dans ce premier grand bilan critique de la gestion de la pandémie au Québec.

UNE GESTION MARQUÉE PAR L’IMPRÉPARATION

En entrevue au Soleil, cette semaine, Josiane Cossette s’est dite d’avis que la gestion de la pandémie par le gouvernement Legault a principalement été marquée par « l’impréparation ». « Une impréparation pendant laquelle on se faisait croire et on faisait croire à la population que la prochaine vague allait passer à côté du Québec. Donc on ne se préparait pas, on faisait même miroiter des espoirs », dit celle qui a suivi « pas à pas » la gestion de la crise sanitaire, commentant chaque conférence de presse sur sa page Facebook, puis signant des textes sur le sujet dans la section opinion du quotidien Le Devoir.

Bref, on laissait le feu couver, de sorte que « quand il prenait, il fallait sortir des traitements-chocs : des couvre-feux, des confinements sévères, des fermetures d’écoles... »

« Ce modus operandi existe toujours aujourd’hui, mais sans les traitements-chocs. On laisse juste courir le virus, et ça, ça va à l’encontre d’un grand principe de gestion des pandémies [suivant lequel] il faut espérer le meilleur tout en se préparant au pire. Au Québec, on s’est le plus souvent contenté d’espérer le meilleur », déplore Josiane Cossette, qui rappelle que plus on laisse le virus circuler, plus il mute et risque de se transformer en variant qui échappe à l’immunité induite par la vaccination ou l’infection.

Il ne s’agit pas ici de reconfiner tout le monde à chaque vague, mais de tenir compte des vrais modes de transmission du virus, qui se propage comme de la fumée de cigarette, et d’éduquer pleinement la population sur la façon de s’en prémunir (vaccination, masques de qualité, ventilation, filtration de l’air…), expose Mme Cossette.

PRIVILÉGIER L’APPROCHE «MILLE-FEUILLES»

Le Québec, dit-elle, a tout misé sur la vaccination, alors que le vaccin ne devrait être qu’une mesure parmi d’autres pour limiter la transmission de la COVID-19.

Dans Traitements-chocs et tartelettes, la Dre Joanne Liu, ex-présidente internationale de Médecins sans frontières et spécialiste des urgences pandémiques et sanitaires, parle de l’importance de cette approche « mille-feuilles », qu’elle définit comme « une superposition de solutions imparfaites », pour freiner la COVID-19.

« Malheureusement, on vit dans un mode où l’imperfection ne semble pas être acceptée… Si un variant qui finit par échapper aux vaccins se développe, il se peut qu’on doive faire deux pas en arrière sur les mesures sanitaires. Les gens ne comprendront pas, et ce sera très mal accepté », entrevoit la Dre Liu, qui craint que « l’économie de l’éducation collective » qu’on a faite finisse par « nous rattraper ».

Selon Josiane Cossette, un gouvernement prévoyant profiterait des périodes d’accalmie, l’été, pour « instaurer des solutions institutionnelles » en prévision non seulement de la prochaine vague, mais de la prochaine pandémie. Il commanderait des purificateurs d’air et procéderait à la réfection des systèmes de ventilation de son parc immobilier, par exemple.

Mais ça coûterait cher, et c’est peut-être ce qui empêche le gouvernement de reconnaître clairement et fermement la transmission aérienne comme principal mode de propagation du virus, avance-t-on dans Traitements-chocs et tartelettes. « Le gouvernement est le plus gros employeur de la province et aussi le plus grand gestionnaire d’édifices publics », rappelle la physicienne

Nancy Delagrave, cofondatrice du collectif COVID-STOP dans le livre.

Le père de COVID Écoles Québec, Olivier Drouin, « doute qu’ils vont admettre que la transmission se fait par aérosols, pour la même raison qu’ils ne vont pas prononcer “racisme systémique” : ils s’ouvrent à des poursuites en responsabilité, en dommages ».

Quoi qu’il en soit, le gouvernement se décharge de sa responsabilité collective « en reportant la responsabilité sur les épaules des individus, qui n’ont pas l’information pleine et entière », déplore Josiane Cossette.

D’UNE GESTION PATERNALISTE AU DÉSENGAGEMENT

Pour Jean-sébastien Fallu, professeur à l’école de psychoéducation de l’université de Montréal et chercheur au Centre de recherche en santé publique (entre autres), la CAQ a « odieusement négligé les principes de la réduction des méfaits » dans sa gestion de la pandémie.

Dans un chapitre consacré à l’importance d’adopter cette approche en santé publique, Jean-sébastien Fallu s’en prend notamment au couvre-feu, particulièrement dommageable pour les jeunes et les plus démunis. « Ce gouvernement a gouverné (et gouverne encore) pour les privilégié.es, négligeant du même coup les inégalités sociales de santé, les impacts de certaines mesures étant nécessairement plus lourds pour les gens moins fortunés », écrit-il.

Le professeur déplore que le gouvernement Legault ait « misé sur l’abstinence, la moralisation et la punition », et fait preuve à plusieurs égards de « paternalisme et d’infantilisation », sans prévoir de soupapes, les moins risquées possible, pour répondre aux besoins sociaux.

D’une gestion paternaliste de la pandémie, le gouvernement Legault est passé à un désengagement « complet », note Josiane Cossette. « En campagne électorale », le premier ministre ne parle d’ailleurs plus de la COVID-19, laissant ce soin au Dr Luc Boileau, directeur national de santé publique par intérim.

« C’est une stratégie de communication qui fait suite à une demande de séparer la santé publique du politique. Mais cette séparation-là, elle est illusoire, et elle est en train de servir l’électoralisme qui teinte les décisions du gouvernement Legault depuis le début », estime Josiane Cossette, qui voit le Dr Boileau comme « le prolongement du premier ministre, un porte-parole qui ne protège pas l’ensemble de la population et qui n’agit pas selon le principe de précaution ».

COVID LONGUE: «NI MORTES NI GUÉRIES»

Traitements-chocs et tartelettes s’en prend aussi au « silence assourdissant » des autorités sanitaires et politiques autour de la

COVID longue, qui toucherait au moins 10 % des gens infectés par le virus, principalement des femmes, et qui affecterait même des personnes triplement vaccinées.

Violaine Cousineau signe un chapitre à ce sujet, intitulé Les larguées. Ni mortes ni guéries : les malades au purgatoire de la COVID longue. Une contribution « super importante », souligne Josiane Cossette, « surtout que Violaine n’est plus capable de regarder un écran, donc elle a presque tapé son chapitre les yeux fermés ».

La COVID longue, rappelle Violaine Cousineau, c’est une forme handicapante de la maladie qui perdure dans le temps et hypothèque de manière importante des personnes souvent jeunes et en santé, qui n’avaient aucun antécédent médical avant leur infection initiale. Des personnes qui ont « brusquement vieilli de 30 ans en quelques semaines, qui ne peuvent plus marcher, monter des escaliers, faire l’épicerie, accompagner leurs enfants à l’aréna, préparer le souper et faire les devoirs en soirée ».

Violaine Cousineau souligne que cette forme « extrêmement grave » de la maladie a déjà et va continuer d’avoir d’importantes répercussions sociales et économiques. Le gouvernement Legault, déplore-t-elle, ignore les « multiples S.O.S lancés par les patient.es », mais aussi par le corps médical qui tente de leur venir en aide. Un silence « profondément insultant », surtout que plusieurs des personnes atteintes sont celles qu’on appelait nos « anges gardiennes ».

« Serait-il mal avisé d’avancer une hypothèse qui, tout explosive qu’elle puisse paraître, semble la seule à même d’expliquer ce silence ? Le fait, peut-être, que ce soient essentiellement des femmes qui aient à composer avec cette forme de la maladie ? Imaginons… des milliers d’hommes... des travailleurs de la construction, des gens d’affaires, des médecins… tout à coup incapables de poursuivre leurs occupations professionnelles, totalement hypothéqués par la maladie […]. Aurait-on idée de passer sous silence leur souffrance ? », demande l’enseignante en arrêt de travail.

En décembre dernier, l’angleterre avait déjà ouvert 90 cliniques POST-COVID, souligne Violaine Cousineau, qui déplore que peu de ressources soient disponibles pour la prise en charge des personnes atteintes de ce syndrome au Québec, où les listes d’attente sont longues.

Pour Josiane Cossette et Julien Simard, la posture « rassuriste » du gouvernement Legault « laisse choir dans son sillon des tas de personnes, en chair et en os ».

Loin de vouloir que la société soit « fermée à tout jamais », ils revendiquent qu’un « maximum de moyens soient déployés pour que “vivre avec le virus” soit moins létal, particulièrement avec un système de santé au point de rupture et des soignant.es au bord du gouffre », écrivent-ils dans la conclusion de leur essai.

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