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CONGRÈS DE L’ACFAS : ENCORE PLUS DE SCIENCE

JEAN-FRANÇOIS CLICHE jfcliche@lesoleil.com

Toute la semaine, des milliers de chercheurs francophones se sont réunis à Québec pour présenter les résultats de leurs dernières recherches, les analyser et en débattre. Le Soleil s’est promené d’un colloque à l’autre pendant toute la semaine et vous en a parlé, mais il y avait tant de sujets intéressants que nous vous en présentons encore quelques-uns de plus !

L’IA AU SERVICE DE LA JUSTICE… OU EST-CE L’INVERSE ?

« Le fait que l’intelligence artificielle s’insère de plus en plus dans les processus judiciaires, ça fait un certain temps que ça dure. Mais ce qu’il y a de nouveau depuis quelques années, c’est que le secteur de la justice offre maintenant ce qui sert de carburant à L’IA : les mégadonnées », a indiqué le chercheur de l’université de Montpellier Adel Jomni lors du colloque « Cybersécurité à l’ère de l’intelligence artificielle ».

Il a fallu longtemps au domaine judiciaire, tant en Amérique qu’en Europe, pour ouvrir ses données – surtout des jugements – gratuitement au grand public. C’est ce qui a donné la proverbiale « poussée de départ » : « Pour apprendre et se développer, les algorithmes ont besoin de données à analyser et sur lesquelles s’entraîner. Les données sont l’instrument qui permet à L’IA de comprendre et d’apprendre la manière dont les humains pensent ou prennent des décisions », dit M. Jomni.

On voit donc maintenant de plus en plus de firmes développer des applications qui mettent à profit l’immense capacité de traitement d’information de L’IA pour sonder et analyser rapidement des milliers de pages de jurisprudence. « Certains algorithmes vont prédire les chances de succès d’une procédure contentieuse, d’autres vont donner la probabilité de résolution d’un litige, ou encore estimer à l’avance le montant des indemnisations auxquelles quelqu’un peut s’attendre », a illustré M. Jomni.

Ce qui a, il faut le dire, de bien beaux atouts. « Pour le juge, L’IA assure de ne pas oublier de pièce, elle décharge le juge de lire des milliers de pages et lui permet de se concentrer sur sa fonction principale : décider. Et L’IA a également de nombreux avantages pour les justiciables, elle réduit les délais d’attente, donne une prévisibilité à la justice, etc. Ce sont des éléments qui sont très demandés par les citoyens », a poursuivi M. Jomni.

Mais tout cela vient aussi avec des risques, a-t-il averti. « Estce que la logique numérique va remplacer la logique juridique ? Les algorithmes [qui ne font que sonder et résumer les jugements antérieurs] condamnent à une perpétuelle reproduction, ils cristallisent la jurisprudence alors que le droit et la justice doivent continuer de s’adapter à l’évolution de la société », a-t-il indiqué.

En outre, beaucoup de ces « solutions IA » sont mises au point par des sociétés privées qui, pour des raisons commerciales, ne veulent pas toujours divulguer le fin détail de leurs algorithmes. Or il y a toujours des choix moraux qui sont faits lors du développement des algorithmes, et les programmeurs peuvent avoir leurs propres biais et préjugés.

« On ne peut pas laisser les questions d’éthique à ces legaltech. Les algorithmes sont développés par des sociétés privées, et il faut plus de transparence », a conclu M. Jomni.

MAISONS EN ZONES INONDABLES : LA RELOCALISATION EST PLUS RENTABLE QU’ON LE CROIT

Quand vient le temps d’évaluer les avantages et les inconvénients qu’il y aurait à payer de nouvelles maisons à des gens qui vivent en zone inondable, au lieu de financer des aides d’urgence toutes les quelques années, la plupart des gouvernements utilisent des grilles d’analyse incomplètes qui sousestiment beaucoup la rentabilité des relocalisations, et ce, tant du point de vue sociétal que de celui des particuliers.

C’est du moins la conclusion à laquelle sont arrivés Michael Bourdeau-brien, professeur d’administration à l’université Laval, et Mathieu Boudreault, professeur de mathématiques à L’UQAM. « Il y a beaucoup de travaux sur la probabilité des inondations, par contre la sévérité demeure un parent pauvre, a noté M. Bourdeau-brien lors de sa présentation à L’ACFAS. Souvent, la perspective sociétale est la seule qui est envisagée, et celle des ménages concernés est rarement évaluée. Ça pourrait expliquer pourquoi la participation aux programmes de relocalisation est souvent assez faible. »

En outre, les risques sont évalués sur une base historique, sans égard au fait que le réchauffement climatique va les accroître. Et plusieurs autres facteurs comme la vulnérabilité de certains bâtiments, les coûts de subsistance – à l’hôtel, habituellement – des inondés, les dommages aux meubles, la gestion des réclamations et les effets sur la santé mentale sont habituellement ignorés.

Les deux chercheurs ont donc entrepris de refaire les calculs de rentabilité pour tenir compte de tout cela. « On a observé que les analyses coûts-bénéfices ont tendance à sous-estimer

la rentabilité des programmes de relocalisation », a conclu M. Bourdeau-brien.

Ainsi, pour des maisons situées dans une zone inondable aux 20 ans où la relocalisation aurait lieu à la suite d’un sinistre, les grilles d’analyse usuelles des gouvernements ne considèrent comme « rentable » que la relocalisation de 13 % des ménages, mais en ajoutant les autres facteurs, c’est plutôt 79 % des cas où les gouvernements « rentreraient » dans leur argent. Dans une simulation sur un quartier réel dans lequel les maisons (235 au total) sont inondables sur des périodes allant de 2 ans à 1000 ans, la prise en compte de tous les facteurs fait passer le nombre de cas où la relocalisation est rentable de 21 à 90 maisons.

Notons que les tendances constatées par MM. Bourdeau-brien et Boudreault furent les mêmes (bien que les chiffres exacts changeaient) quand ils ont adopté le point de vue des ménages, et dans divers scénarios – une relocalisation « planifiée » plutôt qu’en réaction à un sinistre, par exemple.

FEUX DE FORÊT: QUAND LE RISQUE AUGMENTE RAPIDEMENT

« Ce genre de systèmes-là n’est jamais pris en compte dans le calcul du risque de feux de forêt, et c’est justement pour ça qu’on a commencé à travailler là-dessus, et qu’on essaye maintenant de tout automatiser : pour que les décisionnaires sachent que le risque va peut-être s’amplifier rapidement », dit Jonathan Durand, post-doctorant en sciences de l’atmosphère à L’UQAM, sous la direction de Philippe Gachon.

Ces « systèmes-là », comme dit M. Durand, sont ce que les météorologues appellent des « blocages », soit des systèmes de haute pression (habituellement associée au beau temps) qui restent immobiles audessus d’une région pendant des jours, voire des semaines – alors que, normalement, la circulation atmosphérique les pousse vers l’est. Les blocages ne surviennent pas particulièrement souvent, n’influençant la météo qu’entre 8 et 10 % des jours dans l’ouest du Canada, et entre 2 et 6 % des jours dans le reste du pays, a montré M. Durand dans sa présentation à L’ACFAS. Mais quand ils se produisent, ils peuvent créer des conditions propices, notamment en augmentant la température, pour que les risques de feux de forêt se détériorent rapidement. D’où l’intérêt de les suivre.

Or jusqu’à cette année, personne ne le faisait. Grâce aux travaux de M. Durand et de ses collègues du Centre ESCER (Étude et simulation du climat à l’échelle régionale) et du Service canadien des forêts, ce monitorage se fera désormais de manière systématique.

« C’est un sujet qui avait été étudié plus tôt, mais on a développé un code qui permet d’identifier et d’étudier les blocages de manière beaucoup plus précise, en plus de caractériser leur impact sur la météo au sol. Pour l’instant, ça ne tient compte que de l’impact sur la température, mais bientôt on va intégrer les précipitations et le régime des vents. Le fait que les blocages changent ces conditions-là au sol, ça va fortement influencer le risque d’incendie, et là on peut se retrouver avec un risque élevé en peu de temps. »

HISTOIRE DU SIDA AU QUÉBEC: UNE COMMUNAUTÉ GAIE QUI NE S’EST PAS MOBILISÉE SI VITE

La croyance veut que lorsque le VIH est arrivé au Québec, ce soit la communauté gaie qui s’est mobilisée en premier pour endiguer le fléau, parce que la réponse gouvernementale est arrivée sur le tard. Or, s’il y a du vrai là-dedans, ça n’est pas tout à fait ce qu’a trouvé Marianne Fournier, candidate à la maîtrise en santé publique à l’université de Montréal.

Le retard des autorités publiques est indubitable, dit-elle : « Quand on regarde les dates et les chiffres, c’est assez clair. » Mais ses recherches en archives et les 15 entrevues qu’elle a menées avec des acteurs-clefs des premières années du sida au Québec l’ont amenée à conclure que les premiers mobilisés furent les travailleurs de la santé, et non la communauté gaie du Québec ou de Montréal.

« Ici, l’épidémie a commencé assez tranquillement, rappelle-t-elle. Jusqu’au milieu des années 1980, on a affaire à une poignée de cas seulement, alors au début, ce sont surtout les professionnels de la santé qui voient ces cas-là, c’est pour ça que ce sont eux qui vont fonder la première organisation de lutte au VIH au Québec [le Comité Sida-québec, créé en 1982 par des médecins]. […] Mais ce ne sont pas tous les soignants qui vont bien réagir, à l’époque [à cause des préjugés contre l’homosexualité]. »

Il y a aussi eu un certain déni initial au sein de la communauté gaie québécoise – comme ailleurs dans le monde, il faut le dire. « Au début, les gens se disaient : oui, je lis que ça se passe aux États-unis ou au Canada anglais, mais c’est pas ici, ça ne me concerne pas vraiment, moi et mes amis, on est des gais propres, etc. Et cette idée-là que ça concernait les autres, on la trouvait aussi en France, par exemple, où le sida était vu comme un problème américain », explique Mme Fournier. Il a donc fallu un certain temps avant que la communauté gaie du Québec ne se mobilise contre le VIH – ce qu’elle fit tout de même avant les autorités publiques, qui ont considéré jusqu’à la fin des années 1980 qu’il s’agissait d’un dossier strictement médical.

Fait intéressant, Mme Fournier a montré dans sa présentation qu’au Québec, il y a eu un autre groupe qui s’est mobilisé avant la communauté gaie : les Haïtiens de Montréal. Comme l’a indiqué Dr Jacques Pépin dans son livre The Origins of AIDS, Haïti a servi de porte d’entrée du VIH en Amérique du Nord, en grande partie parce qu’il s’agissait d’une destination de tourisme sexuel – ce qui a évidemment empiré l’épidémie dans l’île même. À cause des crises politiques qui ont sévi là-bas dans les années 1970, beaucoup d’haïtiens ont quitté le pays, et se sont établis au Québec pour des raisons linguistiques. Ce qui fait que plusieurs des tout premiers cas de sida recensés ici se trouvaient dans la communauté haïtienne de Montréal, si bien que ce groupe – tout particulièrement des infirmières d’origine haïtienne – s’est mobilisé particulièrement tôt dans l’épidémie.

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