LeQuotidienSurMonOrdi.ca

Si la forêt savait pleurer….

CLAUDE VILLENEUVE claude_villeneuve@uqac.ca MARC ST-HILAIRE mst-hilaire@lequotidien.com

Je n’écouterai plus jamais le bruit du vent dans les épinettes comme avant. Je ne regarderai plus leur silhouette dans la nuit. Je n’entendrai plus le chant des grenouilles sans une grande tristesse. Mais il n’aurait pas voulu cela.

Le 10 mai, mon ami et collègue Réjean Gagnon, professeur retraité à l’université du Québec à Chicoutimi (UQAC), est décédé. C’est une grande perte pour sa famille, ses amis et pour tout le Québec, particulièrement pour celles et ceux qui aiment et vivent de la forêt boréale. Si la forêt savait pleurer, la crue de ce printemps serait dévastatrice.

J’ai souvent fait l’éloge de mes professeurs, de tout ce qu’ils m’ont appris et de leur générosité. Réjean Gagnon ne m’a jamais enseigné à proprement parler, mais qu’est-ce que j’ai appris à côtoyer cet homme d’exception ! Le rôle du matériau bois et le reboisement des landes à lichen pour la lutte aux changements climatiques l’enthousiasmaient au plus haut point. De l’écologie fonctionnelle à l’environnement planétaire, il voyait l’épinette noire partout. Mieux encore, par ses recherches, il faisait parler les épinettes.

C’était un homme bienveillant, toujours à l’écoute, ouvert aux idées nouvelles, dans le respect des gens. Il posait des questions pertinentes, du genre de celles qui font apparaître les défauts d’un raisonnement, mais sans les dénoncer. Il faisait plutôt confiance à l’intelligence de ses interlocuteurs pour s’en rendre compte par eux-mêmes. Malheureusement, cela n’a pas réussi avec tout le monde ! Dans certaines facultés universitaires et dans beaucoup d’officines gouvernementales, tout comme dans les groupes environnementaux, les vérités révélées ont la vie dure.

Réjean ne considérait pas l’université comme un piédestal. C’était un homme de terrain qui respectait les gens de terrain. Les travailleurs forestiers, les gestionnaires locaux, les entrepreneurs, les propriétaires de forêts privées, les Autochtones pratiquant leurs activités traditionnelles, les édiles municipaux des communautés et les industriels du bois méritaient son estime. C’est pour eux et pour le renouvellement de la forêt qu’il faisait de la recherche.

Avec ses outils de biologiste, ses collègues et ses étudiants, il a contribué à rendre la foresterie plus durable au Québec. Ses travaux sur la régénération des forêts après feu ou après coupe l’ont mené à créer, en 1991, le Consortium de recherche sur la forêt boréale commerciale, une unité de recherche unique qui, pendant plus de 20 ans, a fait la fierté de L’UQAC.

L’originalité du consortium était remarquable. Il s’agissait de faire de la recherche fondamentale avec des gens de terrain, pour les gens de terrain, ce qui donnait du sens aux nouvelles connaissances et favorisait l’adoption rapide de nouvelles pratiques.

Je lui suis particulièrement redevable pour son soutien indéfectible dans la mise en place de la formation en éco-conseil et dans la création de Carbone boréal. Lorsqu’il en avait l’occasion, il persuadait les acteurs qui lui faisaient confiance que j’étais, moi aussi, digne de confiance. Comme un grand frère, il savait faire la courte échelle.

Il ne voudrait pas que l’on soit triste de son départ. Il reste tant à faire pour comprendre tous les services que l’épinette noire peut rendre à la planète et à ses habitants. En ces temps d’incertitude climatique, il nous dirait qu’il faut du courage et de la rigueur scientifique, mais surtout de l’humilité et du respect. C’étaient pour lui des vertus cardinales. Mais il nous dirait aussi de le faire dans la joie et la bonne humeur. La vie est bien trop courte !

La forêt ne sait pas pleurer. La crue du printemps 2022 ne sera pas dévastatrice. Les oiseaux reviennent nicher, les grenouilles reprennent leurs chants nuptiaux. Les bourgeons vont débourrer et les tordeuses vont se régaler. Le vent soufflera encore dans les épinettes, en espérant qu’il ne porte pas avec lui le feu. La nature n’a ni éthique ni projet, mais pour des gens comme Réjean, la forêt sait parler. Pour tous ces gens de terrain qui aiment la forêt boréale, pour les collègues et amis qui restent, un phare s’est éteint.

Adieu Réjean !

CHRONIQUE

fr-ca

2022-05-14T07:00:00.0000000Z

2022-05-14T07:00:00.0000000Z

https://lequotidien.pressreader.com/article/281754157919813

Groupe Capitales Media