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LES PORTES CLOSES DU SYSTÈME JUDICIAIRE

NORMAND BOIVIN nboivn@lequotidien.com NORMAND BOIVIN

Au début de sa retraite, qui a malheureusement coïncidé avec la fin de sa vie, mon père s’était passionné pour l’affaire O. J. Simpson. On était au milieu de la décennie 90, Internet n’existait pas pour le commun des mortels et il suivait ça à la télé américaine.

C’était quasiment un running gag dans la famille. Quand on rencontrait papa, il ne parlait que de ça ; en long et en large avec moult détails.

Ça fait 30 ans et on trouvait que les Américains étaient évolués de permettre ainsi de suivre tout le processus judiciaire criminel.

Au Canada aussi, on peut suivre ce qui se passe dans les cours de justice. Car la justice est transparente et celleci garantit à la population la préservation de nos droits. La présence sans restriction des journalistes en est la preuve et avant la pandémie, le public aussi était admis. Actuellement, seuls les justiciables et leurs proches peuvent être à la cour, mais ça reviendra sûrement comme avant quand la COVID-19 partira à la retraite.

Depuis un peu plus d’un an, il est aussi possible de suivre les travaux de la cour par Internet, via Teams. Mais l’accès n’est pas facile. Ça prend un lien. L’application Teams permet aux avocats d’être partout à la fois et aux détenus de comparaître de la prison, ce qui facilite beaucoup les choses. Le public aussi peut suivre par Teams. Moimême, je le fais régulièrement lorsque j’ai plusieurs causes dans différents tribunaux. C’est pour ça que vous pouvez parfois lire, dans une même édition, mes textes relatant des causes à Chicoutimi, à Alma et à Roberval.

Lors de procès très médiatisés, comme celui de l’ex-pasteur Jean-claude Gaudreault, on voyait qu’une bonne trentaine de personnes étaient branchées. Sûrement des gens de la communauté religieuse qui ont partagé le lien.

Parfois, cette présence du public cause de petits problèmes, car les gens qui ne sont pas habitués à la visioconférence ne se méfient pas de l’ordinateur qui ouvre parfois le micro sans qu’on le demande. On entend alors des commentaires dans la salle, ce qui ne manque pas de faire sourciller le juge, qui demande alors à la personne de désactiver son micro ou à la greffière de le faire à distance. Mais je vous le confirme : nos juges sont patients. Ils prennent ça avec un grain de sel.

Teams prouve qu’il y a moyen de retransmettre, dans le respect et le décorum, les procès criminels à un large public, et j’aurais été enclin à dire que tant qu’à avoir toute l’installation nécessaire dans les tribunaux, aussi bien se mettre à diffuser.

Ça ne serait vraiment pas compliqué de mettre ça directement sur Internet et en simple mode de diffusion, les gens ne seraient que spectateurs, sans pouvoir intervenir.

Mais parallèlement, je me demande si c’est souhaitable. Parce que si 99 % de la population a une tête sur les épaules – je sais, je suis

généreux –, c’est le 1 % qui risque de tout faire déraper.

Imaginez : au moindre petit lapsus, au moindre tic, un juge risque de se retrouver dans un mème sur Internet, d’être la cible de moqueries. Car dans une journée de six heures de cour, on ne peut pas être toujours parfait. Surtout lors de journées très chargées.

Aussi, les gens peu au fait du système judiciaire qui suivraient un procès dix minutes par jour n’y comprendraient pas grand-chose et pourraient porter des jugements inadéquats, voire injustes envers les officiers de justice.

Malheureusement, avec la gang de morons qu’on retrouve sur les réseaux sociaux, je pense qu’il vaut mieux en rester comme aujourd’hui. D’autant plus que les juges émettent des ordonnances interdisant d’enregistrer ou de faire des captures d’écran des travaux de la cour. Ce serait impossible à gérer si des centaines, voire des milliers de personnes se retrouvaient devant leur écran. Je suis certain que des images et des portions d’enregistrement se retrouveraient illégalement sur la Toile.

Imaginez le problème lorsqu’en plus, il y a des ordonnances de non-publication de certaines informations.

Cela dit, il y aurait tout de même place à amélioration. Car si les avocats en défense et en poursuite collaborent assez bien avec la presse, et que les juges sont courtois, l’administration judiciaire n’est pas toujours à l’avenant. Les gens m’écrivent parfois pour me demander pourquoi on n’a pas la photo de l’accusé. La job des photographes est tellement rendue compliquée. Ils sont parqués dans un coin du palais, et c’est facile pour un prévenu de leur échapper. Ça ne collabore pas beaucoup...

Il y aurait sûrement moyen de rendre les couvertures plus attrayantes, pour le moins qu’on y mette de la bonne volonté. Ce serait un bon début.

LEMAG.

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2022-05-14T07:00:00.0000000Z

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