LES DENTS DE LA MER, UN POINT TOURNANT

Rien n’aura autant contribué à la mauvaise réputation des requins que la sortie en salle du film Jaws [Les Dents de la mer], le 20 juin 1975. (32) Dès lors, beaucoup de gens ne voient plus la mer de la même façon. Ni la plage. Dans les mois qui vont suivre, tout le monde constate que les baigneurs sont moins nombreux que d’habitude, en particulier sur la côte est des États-unis.

Inspiré par Jaws, des milliers de pêcheurs prennent la mer pour capturer un requin-trophée.33 Jusque-là, le requin était considéré comme un poisson « indésirable ». Après, les tournois de pêche consacrés au requin se multiplient. Les effets ne tardent pas. En l’espace de quelques années, le nombre de gros requins est en chute libre.

« Durant les années 70, on voyait fréquemment des pêcheurs avec des requins-tigres de 800 livres ou des requins marteaux de 1000 livres. Au milieu des années 80, un requin-nourrice de 92 livres pouvait suffire à vous faire gagner des tournois », a résumé Bob Hueter, le directeur du Mote Marine Laboratory.34

Le plus étonnant, c’est que le film Jaws a d’abord frôlé le désastre. Le budget avait explosé. Le réalisateur, un certain Steven Spielberg, croyait que sa carrière était finie. Même le thème musical lui semblait mauvais. Lorsqu’il l’avait entendu pour la première fois, Spielberg avait même cru qu’on lui faisait une blague !

Tout semblait fonctionner de travers. Les trois requins mécaniques qui devaient jouer le monstre se révélaient quasiment impossibles à manoeuvrer. Une vraie farce. L’équipe de tournage avait même rebaptisé le film Flaws [défectuosités].

On connaît la suite. Jaws devient un film culte. Il amasse des profits monstres. Mais pour la petite histoire, il faut noter que l’écrivain Peter Benchley, dont le roman avait inspiré le film, sera aussitôt rongé par les remords. Monsieur répétera qu’il n’aurait jamais écrit son livre s’il avait mieux connu les requins. Il passera le reste de sa vie à tenter de dédiaboliser les requins.

Aujourd’hui, un petit requin a même été baptisé en l’honneur de Benchley, en guise de reconnaissance pour les services rendus...