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La démocratie peut-elle faire du télétravail ?

MARIE-CLAUDE LORTIE ÉDITORIAL mclortie@ledroit.com

Depuis le début de la pandémie, le Parlement canadien a trouvé toutes sortes de façons de fonctionner, comme bien d’autres organismes et institutions, en mode hybride.

Certains députés et sénateurs vont sur place, à Ottawa, pour travailler et débattre de nos lois. D’autres le font de façon virtuelle, à distance, par communication vidéo.

Même chose pour leurs équipes et pour tous les spécialistes appelés à les aider ou faire des représentations devant différents comités.

Les Zoom et autres rencontres en Facetime, Teams et compagnie ont la cote.

Et le coronavirus, qui s’attarde parmi nous, justifie encore que certains veuillent prendre des précautions pour éviter les contacts humains.

Cette façon de faire comporte aussi bien des avantages qui vont au-delà de la prévention de la contagion.

On évite des coûts de transport incluant les pertes de temps associées aux longs déplacements. Et la flexibilité que permet le télétravail facilite la vie de ceux qui ont de complexes obligations personnelles – des enfants ou des parents nécessitant de l’aide, par exemple – et autres ingrédients du quotidien restreignant leur mobilité.

En gros, le télétravail permet souvent de faire trois choses ou plus en même temps. Et dans nos vies modernes, c’est l’objectif de bien du monde.

Mais le télétravail n’a pas que des bons côtés. Les entreprises le savent. Un employé est-il aussi performant et motivé, laissé seul, sans collègues ni encadrement ? La question se pose souvent dans bien des domaines.

En politique, on doit aussi poser la question. Est-ce une bonne chose, pour la démocratie, qu’un forum aussi vivant, direct et symbolique de la collectivité réunie pour débattre des questions touchant le pays qu’une Chambre des Communes se retrouve à moitié dégarni et remplacé par des écrans ?

Depuis le début des confinements et autres phases de gestion pandémique, les chercheurs en sciences politiques du monde entier ont commencé à se pencher sur le sujet : est-ce que le contenant va finir par changer le contenu si on change de façon aussi radicale la forme de nos institutions politiques ? Si on remplace les échanges de vive voix par des télécommunications ?

Ils n’ont pas de réponse unanime. Mais il est difficile de ne pas voir comment, effectivement, cela pourrait édulcorer les fondements mêmes de nos systèmes d’échanges démocratiques.

Oui, on sauve des sous en évitant les voyages en avion de députés de partout au Canada. Oui, on permet à des députés de l’autre bout du pays de passer plus de temps avec leurs électeurs si on ne les oblige pas à traîner des heures dans les airs ou les aéroports.

Mais comment garder les liens entre les partis disparates de notre pays ou de nos provinces si les humains ne sont pas ensemble pour parler ?

On sait tous que discuter à travers des écrans fonctionne à un certain niveau. Mais les amitiés ne naissent pas comme ça. Ni les complicités. Et quel est le meilleur terreau pour faire éclore des liens basés sur le respect et la bienveillance, entre des humains aux intérêts politiques opposés : sur un écran ou autour d’un café ?

En outre, le Canada n’a certes pas autant à craindre que les démocraties fragiles de l’impact pratique de la technologie sur la liberté de parole.

Mais il faut y réfléchir.

Le contrôle du bouton « muet » peut devenir un enjeu politique, pas besoin d’être scénariste de la troublante série futuriste Black Mirror ou d’avoir un doctorat en totalitarisme pour le voir. La technologie augmente les risques de contrôle indu des discussions collectives. Concrètement, il est beaucoup plus facile de faire taire quelqu’un qu’on n’a pas envie d’entendre quand il parle à distance que lorsqu’il est en vrai, devant soi.

Bien sûr, la technologie permet aussi de parler sur de nombreuses plateformes – notamment les réseaux sociaux. En fait, elle permet tout. Mais voilà, veut-on transformer nos démocraties ainsi ? Veut-on des débats d’élus en Chambre ? Sur Twitter ?

Ce n’est ici qu’un petit début de réflexion. Mais à la majorité de Canadiens qui appuient un Parlement hybride, cette question se pose : avez-vous considéré ces facteurs en pensant à l’avenir du Parlement ? Ou uniquement aux économies de frais de transport et aux côtés pratiques du télétravail.

On a beau, parfois, trouver que les échanges de la Chambre des Communes ne sont que des performances politiciennes à hauts niveaux de décibels, on doit admettre qu’il y a une grande qualité à ce spectacle : il est réel. Et précieux. Prenons le temps d’y penser.

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2022-08-06T07:00:00.0000000Z

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