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LA LISTE DES DÉLICES

NOUS, LES HUMAINS

MARC ALLARD CHRONIQUE mallard@lesoleil.com

Un jour d’été, de l’autre côté de la frontière, le poète Ross Gay a décidé de se lancer un défi. Chaque jour pendant un an, il écrirait vite et à la main un court texte à propos d’un délice.

En français ou en anglais, « délice » et « delight » veulent dire la même chose. Ils évoquent un grand plaisir, une satisfaction intense. On dit « ces framboises sont un vrai délice » ou « cet album est un délice pour les oreilles ».

Ross Gay, qui est un poète reconnu aux États-unis, voulait passer plus de temps à réfléchir aux délices qui jalonnent sa vie. Et pour y arriver, l’instauration d’une discipline quotidienne d’écriture lui apparaissait incontournable.

Il a escamoté quelques journées. Mais, au final, il a retenu 102 courts essais – la plupart d’une longueur d’un paragraphe à trois pages – sur ses satisfactions quotidiennes.

Ross Gay parle de pacanes, de lucioles, de surnoms, de high-five, de rituels dans l’avion, de toilettes publiques, de son anniversaire. Son livre, publié en 2019, s’intitule The Book of Delights (Le livre des délices).

Dans l’intro du bouquin, le poète raconte qu’il ne lui a pas fallu beaucoup de temps avant de développer ce qu’il appelle « un radar à délices ». Plus on porte attention aux délices, plus on en voit, explique-t-il.

Ross Gay, bien sûr, n’est pas psychologue. Mais son radar à délices recoupe une des prescriptions de la psychologie positive.

Le neuroscientifique Rick Hanson, un professeur à l’université Berkeley qui étudie la science du bien-être, insiste sur l’importance d’apprendre à savourer les « petits riens ».

Normalement, dans le capharnaüm de nos journées, on a tendance à laisser filer ces joies passagères, comme des oiseaux qui passent dans le ciel. Mais quand on s’habitue à les capter au vol, notre mémoire les accumule et on développe des structures neuronales plus positives, explique Rick Hanson sur son blogue.

Cette habitude est aussi une façon de lutter contre le « biais de négativité », cette tendance qu’ont les humains d’accorder plus d’attention aux expériences négatives qu’aux expériences positives.

Le biais de négativité est une conséquence de notre évolution. Dans la savane africaine paléolithique, nos lointains ancêtres devaient toujours être à l’affût des prédateurs. Or, aujourd’hui, les lions et les hyènes sont devenus un danger lointain pour les humains, mais on a gardé cet instinct anachronique qui nous incite à surveiller constamment les menaces.

À la fin de votre journée, vous pensez probablement davantage à ce qui va mal qu’à ce qui va bien. Pour contrer cette tendance, vous pourriez essayer vous aussi de faire la liste de vos délices.

J’ai tenté l’expérience cette semaine en allant courir, une activité que je fais sans trop de plaisir, uniquement pour lutter contre ma tendance à la sédentarité. C’est pénible. Mes jambes s’ankylosent après quelques foulées, mes bras ne savent pas où se placer et je croise sans cesse d’autres coureurs aux pas rapides et élégants qui me rappellent à quel point je suis débutant.

Mais, vendredi, en ouvrant mon radar à délices, j’ai réalisé que je chéris plusieurs petits riens qui entourent la course.

J’aime enfiler mes chaussures orange et entendre le frottement des lacets quand je les boucle, on dirait que ça me donne une petite décharge de détermination. Avant de partir, j’adore choisir le balado que j’écouterai pendant une demi-heure de souffrance cardiovasculaire.

Vendredi, j’ai été émerveillé par un épisode du podcast Brèves rencontres, de France Inter. L’écrivain François-henri Désérable y raconte avec un talent ébouriffant l’incroyable histoire du premier amour de Romain Gary.

En courant, j’ai aussi remarqué la chance que j’avais de pouvoir jogger sur le sentier qui longe la rivière Saint-charles, à quelques enjambées de chez moi. J’ai aussi ressenti de la gratitude envers les employés municipaux qui entretiennent la luxuriante végétation des berges.

Et voilà, juste en y pensant, la liste de mes gratitudes m’a fait oublier les courbatures de la course.

Je songe à poursuivre la liste de mes délices en vacances. Mon radar sera aiguisé pour la rentrée.

MONDE

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2022-08-06T07:00:00.0000000Z

2022-08-06T07:00:00.0000000Z

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