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LES DESTINS CROISÉS DE DEUX SOPRANOS SAGUENÉENNES

DANIEL CÔTÉ dcote@lequotidien.com

Entre le 8 décembre et le 8 janvier, deux sopranos originaires du Saguenay, Marie-ève Munger et Élisabeth Boudreault, fouleront la scène de l’opéra de Strasbourg dans le cadre d’une nouvelle production de La flûte enchantée de Mozart. La première campera le rôle exigeant de la Reine de la nuit au fil de cinq représentations, les autres étant confiées à Svetlana Moskalenko. Quant à sa consoeur, elle prêtera ses traits et sa voix au personnage de Papagena.

Pour souligner cette rencontre aux airs de retrouvailles, une entrevue a été réalisée cette semaine, par le truchement de la plateforme Zoom. Entre deux répétitions, au coeur d’une ville qui retrouve son célèbre Marché de Noël après une pause provoquée par la pandémie, les chanteuses sont revenues sur leurs parcours étrangement similaires. Même en l’absence de cidre chaud, sur les écrans, ça sentait un peu les Fêtes.

PREMIERS CONTACTS

Ce n’est pas à Strasbourg, mais au Saguenay, que les interprètes se sont côtoyées pour la première fois. « Je dirigeais la chorale junior de Jeunesse en choeur quand Élisabeth s’est jointe au groupe. Elle devait avoir six ou sept ans, moi j’en avais 15 ou 16. Quand elle passe quelque part, on s’en rappelle », lance Marie-ève Munger d’un ton admiratif.

Sa camarade, elle, chérit le souvenir d’un concert de Jeunesse en choeur où la Jonquiéroise, devenue une artiste professionnelle, avait interprété l’un de ses classiques, L’air de la poupée d’offenbach. Cette fantaisie où le chant va de pair avec une gestuelle robotique avait produit une forte impression sur la jeune fille.

« Nous n’étions pas initiés à l’opéra, chez nous. Ce n’était pas dans notre culture. De voir une personne faire ça en chair et en os, ça m’a travaillée dans le majeur, raconte Élisabeth Boudreault. Je me souviens également du jour où je me trouvais chez Gisèle (mère de Marie-ève et directrice de Jeunesse en choeur). Quand Jean-guy, son mari, m’a dit que j’allais chanter à l’opéra, j’ai roulé des yeux. J’étais certaine que ça n’arriverait pas. »

L’ÈRE DES APPRENTISSAGES

Les chanteuses ont poursuivi leur cheminement en parallèle, à quelques années de distance. Tour à tour, elles ont été habilleuses au sein de la troupe Québec Issime, lavant les vêtements de scène après chaque représentation. « C’est comme ça qu’on prend du métier », commente Marie-ève Munger avec philosophie.

Elle a aussi fréquenté l’atelier de musique de Jonquière pendant dix ans, période pendant laquelle la soprano se serait révélée « une mauvaise étudiante de piano ». Au moins, elle peut aujourd’hui s’accompagner, comme quoi tout finit par servir.

Toujours à l’atelier de musique, Élisabeth Boudreault a vécu une expérience qui a changé sa vie, bien que ça n’ait pas été évident sur le coup. D’abord formée en chant populaire, elle a tenté une expérience en ajoutant à ses cours une part de chant classique. Après une ou deux années, son idée était faite. Le classique et rien d’autre.

« Quand j’ai dit à ma mère que ce serait l’opéra, elle m’a répondu qu’il n’y aurait pas d’avenue pour moi, mais a accepté de me supporter. J’ai ensuite travaillé avec Alexandre Malenfant, qui m’a utilisée dans différents opéras présentés dans la région, dont Aida, Carmen, Werther et Madame

Butterfly. Pour moi, c’était devenu tangible. » « J’ai l’impression de m’écouter parler, a alors

souligné Marie-ève Munger en riant. Moi aussi, j’ai fait de la pop avant, mais elle a quitté ça plus vite que moi. » Tardives ou non, ces conversions ont mené à des retrouvailles à la Salle Françoisbrassard de Jonquière, dans une production de la Société d’art lyrique du Royaume.

« C’était dans Les brigands. Marie-ève était Fiorella et moi Zerlina, un petit rôle », se souvient Élisabeth Boudreault. Tout en multipliant les expériences sur scène, elle a décidé de poursuivre son cheminement académique hors des conservatoires, en suivant des cours centrés sur ses priorités. Une démarche audacieuse, mais qui fut payée de retour quand la soprano a été admise à l’université Mcgill, comme sa consoeur quelques années plus tôt.

L’APPEL DE L’EUROPE

Marie-ève Munger et Élisabeth Boudreault ont pour trait commun de travailler principalement en Europe. La première connaît bien le circuit des maisons d’opéra, ce qui ne l’a pas empêchée d’effectuer plusieurs incursions aux États-unis, tandis que sa consoeur continue de bâtir sa renommée, une production à la fois. Entre autres lieux, on l’a applaudie à Aix-en-provence, à Nancy, au Luxembourg, à Lyon, à Dijon et, tout récemment, à l’opéra Comique, dans Lakmé.

« J’ai fait mes débuts parisiens dans le rôle d’ellen, sous la direction de Raphaël Pichon. Ça s’est très bien passé », souligne-t-elle. L’opéra national du Rhin l’a également accueillie en 2020, lui offrant d’incarner Gretel dans l’opéra Hänsel und Gretel. Deux ans plus tard, la voici de retour à Strasbourg, avec pour partenaire son conjoint originaire de l’angleterre.

« D’un côté, c’est plus facile parce que nos personnages s’embrassent beaucoup. C’est agréable de partager la scène ensemble, mais si l’un des deux ne ‘file’ pas, ça devient plus compliqué. Dans ces moments-là, nous nous supportons mutuellement », raconte Élisabeth Boudreault.

L’EVEREST À LA COURSE

De son côté, Marie-ève Munger relève un défi qu’elle repoussait depuis dix ans, à l’opéra national du Rhin. Maintes fois, on lui a proposé le rôle de la Reine de la nuit et toujours elle refusait. Le souvenir d’une audition calamiteuse la hantait, au point de provoquer un blocage associé aux contre-fa.

« Il y a deux airs hyper difficiles où on en retrouve. Comme j’en faisais presqu’une psychose, j’ai dû rebâtir ma confiance. J’ai travaillé avec un psy en performance et au plan technique, je suis maintenant plus à l’aise, assure-t-elle. Les répétitions se passent bien, mais chaque fois que je fais ces airs, j’ai l’impression de monter l’everest à la course. »

Après Strasbourg, elle chantera à Lausanne dans un opéra d’auber, Le domino noir. Suivra le rôle de La Fée dans le Cendrillon de Jules Massenet, à l’opéra de Limoges. En parallèle, un projet d’album mijoterait à feu doux. « Des gens m’ont contactée il y a trois semaines. La période couverte se situerait autour de l’année 1760, à la fin du baroque et au début de la période classique », précise la soprano, qui croit que son nouvel enregistrement, Maestrino Mozart, a milité en sa faveur.

PROJETS

« Après La flûte enchantée, je me rendrai au Canada pour la première fois en trois ans. J’ai hâte. Ensuite, je ferai mes débuts en Angleterre », annonce Élisabeth Boudreault. Poser sa voix sur un album fait également partie de ses priorités. Un duo sera d’ailleurs capté l’année prochaine, dans le cadre d’un projet collectif. Un premier pas, en attendant de pouvoir s’exprimer en solo.

Il est aussi question de monter un récital s’appuyant sur des poèmes québécois. Ce chantier qui continue de progresser pourrait donner naissance à trois cycles.

Parlant de récital, Marie-ève Munger veut poursuivre sa collaboration avec le pianiste saguenéen Jonathan Nemtanu. « Nous avons très envie de travailler ensemble, notamment sur un programme allemand où nous ferions du Schubert, du Brahms et du Richard Strauss. Il est tellement formidable. C’est l’fun de présenter un récital en sachant que ce ne sera pas juste du bla bla de colorature. Ça pourrait aboutir à l’automne 2023 », laisse-t-elle entrevoir.

« Je dirigeais la chorale junior de Jeunesse en choeur quand Élisabeth s’est jointe au groupe. Elle devait avoir six ou sept ans, moi j’en avais 15 ou 16..»

— Marie-ève Munger

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