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Deux grains de sable de Jordanie... à Oaxaca

JONATHAN CUSTEAU CHRONIQUE jonathan.custeau@latribune.qc.ca

Le centre historique d’oaxaca étincelait sous le soleil d’octobre. On n’y succombait pas sous la même chaleur accablante qu’on trouve dans les zones quasi désertiques plus au nord du Mexique. Là, on s’accroche naturellement les pieds dans les galeries d’art. Naturellement parce que l’art s’y décline de 1001 façons, jusque dans les rues, au détour des maisons colorées de la vieille ville, notamment dans le quartier de Jalatlaco, où les murales se côtoient en plus grand nombre.

À l’ombre de l’église Santo Domingo de Guzman, je me suis aventuré dans une petite boutique de souvenirs à saveur artistique. Mes yeux ont trébuché sur les épinglettes, que je rapporte à l’occasion pour une amie qui les collectionne. Leur étiquette portait le logo « Once in Oaxaca ».

« C’est le nom d’une boutique du quartier de Jalatlaco ça, non ? » ai-je demandé à l’employée du commerce.

« Oui. La boutique appartient à un jeune architecte qui peint ou dessine des bâtiments de la ville. Les épinglettes, les cartes postales et les oeuvres au mur sont de lui », a-t-elle décliné.

Je savais sans savoir. Lui, l’architecte, c’est Jaime Levin. Nos routes s’étaient croisées dix ans plus tôt, à mi-chemin entre son Australie natale et mon Canada à moi. En plein centre du monde, presque, dans le désert de la Jordanie.

Je me souviens qu’il voyageait avec sa soeur. À nous trois, moi à la traîne parce qu’une dizaine d’années de plus dans le squelette, nous avions exploré le site historique de Pétra à vitesse turbo. Nous nous y étions perdus, aussi, au point de devoir trouver un chemin alternatif pour redescendre de la colline où nous nous étions égarés. Lui avait naturellement trouvé des points d’ancrage dans une paroi presque verticale. Elle, en robe, et moi, l’antithèse d’une chèvre de montagne, étions demeurés bien perplexes. Que nous ayons tous les trois rallié la base sans la moindre égratignure relevait du miracle.

Depuis, plus rien. Pas un mot, pas un échange, que le lien ténu d’une amitié Facebook un peu indiscrète, amitié qu’on néglige au point où même l’algorithme de Zuckerberg n’y croit plus vraiment.

Je le savais établi au Mexique, sans plus. Quelques photos balancées sur les réseaux sociaux l’avaient trahi. Jusqu’à cette référence, une semaine avant mon départ pour Oaxaca, à son atelierboutique de Jalatlaco. Mon attention s’y est attardée.

Once in Oaxaca occupe le coin des rues Curtidurias et Aldama. On le reconnaît à son mur extérieur jaune clair.

J’y suis entré m’attendant à le trouver là, à accueillir les clients venus acheter ses cartes postales faites à la main, ou attablé dans son atelier, dans la pièce d’à côté, où le désordre ordonné côtoie la création. Il ne s’y trouvait pas.

Il aurait fallu prévenir, peut-être, plutôt que de briser un silence de dix ans à l’improviste. Mais voilà, dix ans avaient passé. Beaucoup d’autres voyageurs aussi. Les visages des étrangers s’étaient sans doute brouillés. Ne restait plus qu’au hasard à tracer la route. Ou pas.

Je repartirais néanmoins avec quelques-unes de ses créations, au dos d’une carte postale peinte à la main, des fragments d’une amitié éphémère qui s’ancrait dans le passé.

Une fois, à Oaxaca, deux voyageurs ont ralenti le sablier, une quinzaine de minutes durant, pour rattraper dix années au croisement de chemins qui s’entrecoupent presque par hasard.

Jaime descendait de sa moto comme j’allais passer la porte. Je passais dix minutes plus tôt et le hasard s’engageait dans un culde-sac. Mais il m’avait mené là, par un après-midi d’octobre, où deux grains de sable de Jordanie, poussés par le vent, ont mis dix ans pour atterrir au même coin de rue d’oaxaca.

Après la Jordanie, Jaime s’est intéressé à l’architecture. Dans son envie de changer d’air, il s’est posé au Mexique sans plan précis. Les semaines se sont transformées en mois, les mois, en années. Après avoir travaillé au café Cactus, aujourd’hui appelé Onnno Loncheria, il a ouvert son atelier-boutique en mars dernier. Outre ses plans pour compléter l’aménagement de son petit coin de ville, il ambitionne de déployer un autre projet artistique dans un autre local où les travaux sont en cours.

En attendant, ses oeuvres rendent hommage aux bâtiments colorés du centre d’oaxaca. Affiches, tasses, bouteilles d’eau et autocollants sont autant d’objets portant la griffe de Jaime Levin. Mine de rien, le jeune Australien commence à prendre racine au Mexique.

À Oaxaca, il a visiblement appris à vivre au jour le jour. Les propriétaires de locaux commerciaux ne signent que des contrats à court terme. Un an, deux tout au plus. La valse-hésitation des ouvertures et des fermetures est continuelle. Mais Jaime a confiance à la vie. Comme pour son processus pour décrocher une résidence permanente, qui pourrait le faire patienter quatre années de plus.

Une fois, à Oaxaca, deux voyageurs ont ralenti le sablier, une quinzaine de minutes durant, pour rattraper dix années au croisement de chemins qui s’entrecoupent presque par hasard. Quinze minutes de retrouvailles qui me convainquent de ne pas laisser au simple hasard le soin de nous réunir de nouveau.

Si vous passez par Oaxaca, osez saluer Jaime pour une minute... ou quinze.

TOIT & MOI

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2022-12-03T08:00:00.0000000Z

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