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Des invasions latentes au Lac-saint-jean ?

GUILLAUME ROY JOURNALISTE DE L’INITIATIVE DE JOURNALISME LOCAL groy@lequotidien.com

Les villes et organisations s’intéressent aux espèces exotiques envahissantes quand les impacts commencent à déranger. Il faut toutefois agir dès les premiers constats pour minimiser la propagation et les coûts qui y sont liés. Les municipalités doivent donc se préparer à de futures invasions, car les plantes gagnent du terrain. Reportage sur la situation au Lac-saint-jean.

Sur la pointe Saint-méthode, à Saint-félicien, un groupe de citoyens a constaté l’apparition d’une drôle de plante à l’allure de bambou dans un site de dépôt communautaire de débris végétaux. « Mon garçon est arrivé avec une tige comme jouet un jour », lance Fannie Bard, une résidente du secteur. En l’inspectant de plus près, elle a constaté que c’était de la renouée du Japon, une plante exotique envahissante. Dans le site de dépôt, elle avait pris racine, couvrant près de 100 mètres carrés.

Ce n’est pas le seul site du coin, car on la retrouve aussi sur quelques terrains résidentiels où elle est utilisée comme plante ornementale, car elle fait de belles tiges et de belles feuilles. La plante est encore vendue dans certaines jardineries et c’est en partie de cette manière qu’elle conquiert de nouveaux territoires. Et lorsque l’on taille la plante, chaque petite partie a le potentiel de créer une nouvelle plante. Si les débris sont lancés dans un fossé, au compost ou ailleurs, elle s’y implantera.

Plusieurs citoyens du secteur ont fait le même constat et un comité a été formé, explique Fannie Bard. « On a approché la ville et la MRC, qui sont préoccupées de la situation, mais il ne semble pas y avoir de structure pour gérer ça », dit-elle.

L’organisme de bassin versant Lac-saint-jean (OBVLSJ) a aussi été contacté et des rencontres seront organisées avec la Ville pour préparer un plan de match.

Pour l’instant, le comité de citoyens essaie de contenir l’invasion, tout en mettant l’emphase sur la sensibilisation. « On veut éviter que les gens la propagent

encore plus, note Fannie Bard. On aimerait que la Ville prenne ça en main. »

L’infestation a également été signalée sur le site Sentinelle, l’outil gouvernemental qui répertorie les espèces exotiques envahissantes.

LE MYRIOPHYLLE À ÉPI DANS LE LAC SAINT-JEAN?

À Saint-prime, une situation préoccupante a également surgi, alors que la capitaine des quais, Rachel Lamontagne, a constaté l’émergence d’une nouvelle plante, l’été dernier. « En 45 ans, je n’ai jamais vu ça. On a comparé la plante à des photos sur Internet et je suis convaincue que c’est le myriophylle à épi », avance la dame, qui a alors informé la municipalité d’un problème d’algues à la marina.

À l’époque, il n’était pas question d’une espèce exotique envahissante, mais en constatant qu’une plante gagnait rapidement du terrain et ennuyait les baigneurs et les bateaux, Saint-prime a fait un signalement au ministère de l’environnement, soutient la directrice générale par intérim, Claudia Gagnon.

« Ils nous ont dit qu’il n’y avait pas encore de plantes exotiques envahissantes répertoriées dans le lac Saint-jean en 2022 », dit-elle, ajoutant qu’aucun expert n’est venu sur place.

C’est en lisant un journal local il y a quelques semaines que la municipalité a appris qu’il pouvait s’agir du myriophylle à épi, et c’est à ce moment qu’elle a contacté l’organisme de bassin versant Lac-saintjean (OBVLSJ).

Selon Anne Malamoud, la directrice générale de L’OBVLSJ, une autre espèce de myriophylle indigène pourrait être en cause et il est parfois difficile d’identifier certaines espèces aquatiques. À cette période de l’année, il n’est pas possible de confirmer la présence du myriophylle à épi, car il faudra attendre quelques semaines pour que la plante croisse suffisamment pour l’observer. L’OBVLSJ ira donc faire la vérification vers la fin juin ou début juillet.

UNE CATASTROPHE ÉCOLOGIQUE ?

Selon Marc Archer, biologiste et directeur général de la Corporation de Lactivité Pêche Lac-saint-jean (CLAP), l’arrivée du myriophylle à épi représenterait une catastrophe écologique dans le lac Saint-jean. « Ça causerait des impacts écologiques majeurs et irréversibles, parce que quand ça rentre dans un lac, on ne peut plus s’en débarrasser. On pourrait juste le contrôler, jusqu’à un certain point », explique M. Archer.

Selon ce dernier, le lac Saint-jean est un des lacs les plus à risque de contamination par les espèces exotiques envahissantes (EEE), car c’est le plus grand lac habité de la province et il reçoit des visiteurs de partout en province. « Il y a plein de monde qui viennent au lac Saint-jean avec leurs bateaux et leurs embarcations de plaisance pour pêcher, faire de la motomarine et du récréotourisme, rappelle-t-il. Ça peut entrer de tout bord tout coté. »

En effet, les EEE profitent des humains pour se déplacer, en s’accrochant notamment aux embarcations. En se promenant dans un lac infesté, un bateau peut transporter des espèces. Un seul fragment de myriophylle à épi, ou d’autres espèces comme la moule zébrée, suffit pour infester un autre lac. C’est pourquoi les plaisanciers et pêcheurs doivent être conscientisés à l’importance de laver leur bateau avant de naviguer sur différents plans d’eau.

Selon Catherine Robin, la chargée de projet sur les EEE pour le Conseil régional de l’environnement et du développement durable du Saguenay-lac-saint-jean (CREDD), le myriophylle à épi pourrait avoir un impact important sur les activités récréotouristiques au lac Saintjean. Étant donné que la plante prolifère en milieu peu profond, plusieurs secteurs du lac pourraient être envahis. « Il pourrait y avoir de grandes répercussions pour le récréotourisme et sur les activités de pêche, qui sont des activités importantes dans la région », souligne-t-elle.

Pour contrer l’arrivée des EEE, la CLAP a entamé, en novembre dernier, une campagne de financement pour amasser 1,09 million de dollars, une somme destinée à la construction de 20 stations de lavage en bordure et en périphérie du lac Saint-jean. Jusqu’à maintenant, 790 000 $ ont été confirmés, soutient Marc Archer, ce qui permettra de lancer les travaux le plus rapidement possible.

Lorsqu’une espèce végétale exotique envahissante s’établit dans un nouvel écosystème, il est très difficile de l’éradiquer. Pour y parvenir, ou simplement pour limiter la propagation, il faut être prêt à investir des sommes importantes, sans compter qu’il faudra dépenser des montants chaque année pour faire un suivi adéquat. Bien souvent, ces plantes envahissantes représentent une taxe à vie pour les municipalités et les associations de riverains.

Au début des années 2000, une drôle de plante a fait son apparition dans le lac O’malley, à Austin, en Estrie. Mais ce n’est qu’en 2010 qu’elle a été formellement identifiée comme étant le myriophylle à épi. Au fil des ans, la plante avait conquis 30 % des rives du lac, qui fait 17 hectares, soutient Michèle Lafont, la présidente de l’association de protection de l’environnement du lac O’malley.

À ce moment, la plante limitait grandement les activités de baignade et de navigation sur ce petit lac écologique où on n’accepte pas les embarcations à moteur.

C’est en 2014 qu’a débuté la lutte contre le myriophylle à épi, avec le lancement d’un projet pilote avec le Regroupement des associations pour la protection de l’environnement des lacs et des bassins versants (RAPPEL). « On a été un des premiers lacs à utiliser la méthode de bâchage avec des toiles de jute », remarque Michèle Lafont.

En 2019, l’association de riverains manque toutefois de fonds, après avoir dépensé plus de 130 000 dollars dans cette lutte. Elle s’en remet alors à l’arrachage manuel fait par des plongeurs professionnels.

Malgré la lutte acharnée, les résultats ne sont pas aussi bons qu’on l’espérait. Les experts revoient alors leur stratégie pour tenir compte de la dissémination du myriophylle par les vents dominants. Une nouvelle stratégie est mise en place, avec un budget de 150 000 dollars, pour réaliser une opération systématique en finissant par l’endroit qui reçoit les vents dominants. En 2022, l’opération porte fruit. « Il va rester à refaire l’inspection et arracher les plants qui restent cette année », remarque Michèle Lafont.

En tout et partout, le projet de contrôle du myriophylle aura coûté près de 300 000 dollars, payés en partie par des subventions, avec l’aide de la municipalité, ainsi que l’argent versé par les riverains. Un règlement d’emprunt a même été fait par la municipalité d’austin pour financer la lutte, un montant qui est remboursé grâce à une taxe spéciale dans le secteur visé.

Avec tous ces efforts, le travail n’est pas terminé, car une opération d’arrachage sous-marin devra être répétée chaque année pour éviter que la plante ne se propage à nouveau, ce qui devrait coûter entre 10 000 et 15 000 $ par année.

REGROUPER LES FORCES

C’est grâce à un regroupement d’associations de riverains que la coopérative de solidarité RAPPEL est née, il y a 25 ans, pour mieux protéger les plans d’eau. La coopérative compte aujourd’hui 300 membres, dont une trentaine de municipalités réparties dans 10 régions administratives.

« Les membres ont accès à un tarif préférentiel et à un soutien de nos professionnels, mais tout le monde peut être client », remarque la coordonnatrice aux communications, Angélie Bellerose-langlois.

Au fil du temps, le RAPPEL a développé une expertise en lien avec les espèces exotiques envahissantes (EEE), notamment pour la lutte contre le myriophylle à épi.

« On travaille principalement pour limiter les impacts socio-économiques, parce que le myriophylle entraîne une perte d’usage pour la baignade et la navigation », soutient Jérémie Isabelle, coordonnateur équipe des EEE, en ajoutant que des études sont en cours pour connaître les impacts de la plante sur la biodiversité. Une chose est certaine, la plante croît plus rapidement que les espèces indigènes et elle se propage très rapidement, en se fragmentant elle-même pour coloniser d’autres secteurs.

Pour traiter un lac, il faut intervenir le plus rapidement possible pour limiter les coûts, qui grimpent de manière astronomique. Par exemple, une détection rapide en 2021 au lac Masson, dans les Laurentides, a permis de traiter rapidement les quelques plantes présentes près du débarcadère.

« On a fait deux jours d’arrachage au lieu de quatre semaines à mettre des toiles, ce qui revient beaucoup moins cher », note Jérémie Isabelle.

« Des stations de lavage et des règlements municipaux stricts pour obliger le nettoyage des embarcations sont de bons outils pour prévenir les infestations », dit-il, avant d’ajouter que des moyens logistiques peuvent faciliter le contrôle. Au lac Mégantic, il faut par exemple obtenir un coupon à la station de lavage pour franchir la guérite qui donne accès au lac.

Les stratégies de lutte doivent aussi être réfléchies, car les budgets sont limités et les infestations peuvent être trop importantes, ajoute M. Isabelle.

LA LUTTE EN MILIEU TERRESTRE

Quadra Environnement est une autre entreprise spécialisée dans la lutte aux espèces envahissantes, se concentrant toutefois en milieu terrestre, travaillant notamment sur la berce du Caucase, la renouée du Japon et l’herbe à poux.

« Il est parfois trop tard quand on nous appelle parce que les espèces sont trop fortement établies, remarque Nicolas Trottier, président et fondateur de l’entreprise, ajoutant qu’il n’utilise pratiquement jamais le terme éradication.

C’est notamment le cas lorsque l’on trouve de la renouée du Japon sur des dizaines, voire des centaines de mètres en bordure d’une rivière. « En général, on ne peut rien faire à moins d’y mettre une fortune », précise-t-il, sans compter qu’il faut avoir toutes les autorisations environnementales. Dans bien des cas, il faut se contenter de limiter la propagation, en éliminant les nouvelles petites populations en émergence. « Il faut intervenir le plus tôt possible, sinon ça peut coûter très cher », note l’expert, car la renouée peut faire des racines d’une profondeur de trois mètres dans le sol et chaque fragment peut générer une nouvelle pousse.

Selon les cas, il faut parfois utiliser des herbicides, lors des interventions, ou miser sur l’arrachage manuel ou mécanisé avec l’aide d’une excavatrice. Des bâches sont parfois utilisées pour recouvrir une colonie, mais il faut compter au moins six ans pour en venir à bout, et les résultats sont incertains.

Quadra Environnement travaille également à la lutte contre la berce du Caucase depuis 2016 à Racine et les environs, en Estrie. Plus de 300 000 $ ont été investis dans la lutte qui n’est pas terminée, car on retrouve encore des millions de spécimens, et même lorsqu’on élimine la plante, la graine peut rester en dormance pendant sept ans. C’est le travail concerté entre les communautés et les MRC de la région qui permet toutefois d’agir efficacement et de lever suffisamment de fonds pour réduire les populations.

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