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La retraite à deux vitesses

YVON LAPRADE CHRONIQUE Collaboration spéciale

Commençons avec une statistique qui frappe : au Québec, pas moins de 1,8 million de personnes sont âgées de 65 ans et plus. De ce nombre, 640 000 vivent avec un revenu annuel de 21 339 $.

C’est la maigre pitance à laquelle elles ont droit en vertu de la pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) et du Supplément de revenu garanti (SRG).

Faites le calcul : le tiers des retraités en arrache financièrement. On leur demande de se démener avec un revenu mensuel de 1778,25 $ pour payer le loyer et manger trois repas par jour.

« On peut imaginer la détresse que vivent ces aînés, qui doivent se contenter d’une pension du fédéral aussi mince », m’explique, en entrevue, le président de l’association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR), Pierre Lynch.

C’est clair : les retraités ne sont pas tous égaux, ou égales. On peut aisément parler de retraite à deux vitesses. Il y a ceux — et celles — qui ont eu la chance de cotiser à un régime de retraite de l’employeur tout en gonflant leur REER.

Il y a les autres, ceux — et celles — qui se retrouvent devant rien. Ils ne sont pas éligibles à la Régie des rentes du Québec (RRQ), soit parce qu’ils étaient travailleurs autonomes, soit qu’ils ont travaillé au noir, soit encore, parce qu’ils n’ont jamais travaillé, tout simplement.

« On oublie que chez les 75 ans et plus, il y a eu beaucoup de femmes au foyer, rappelle-t-il. Ce sont des personnes très vulnérables dont il faudrait s’occuper. »

DES PROMESSES NON TENUES

Aussi aimerait-il voir les gouvernements, à Québec et à Ottawa, passer à l’action afin d’améliorer le sort des plus mal pris.

« C’est tout de même ironique, relève-t-il. À tout coup, pendant les campagnes électorales, on nous fait miroiter des belles promesses, on parle beaucoup des aînés, mais quand tout est terminé, ça fait patate ! On nous oublie. C’est frustrant. »

Difficile de ne pas revenir sur une déclaration du premier ministre François Legault lors de la dernière campagne électorale. « Nos aînés, c’est eux autres qui ont bâti le Québec d’aujourd’hui. On a un devoir de les aider », avait-il lancé, fin août 2022, alors qu’il était de passage en Beauce.

En octobre 2022, le premier ministre Justin Trudeau avait dit à son tour, lors de la Journée nationale des aînés : « Les aînés du Canada ont toujours été là pour nous, et nous devons être là pour eux. »

Fin de la citation...

Ce n’est pas la première fois que le président de L’AQDR monte au créneau pour tenter de faire bouger les choses. Mais cette fois, il considère la situation plus que préoccupante que jamais en raison de l’inflation.

« On sent une détresse chez un nombre grandissant de nos membres. L’inflation fait très mal. Il y a une perte de crédibilité dans le système de santé. Et le coût du logement ne cesse d’augmenter. »

Il ajoute : « Quand le revenu de retraite est d’un peu moins de 1778,45 $ par mois et qu’un [modeste] logement dans une RPA (Résidence pour personnes âgées) est de 1800 $ mensuellement, il se peut fort bien qu’on doive couper sur la nourriture et les médicaments. »

RETOURNER AU TRAVAIL

Dans un tel contexte, il ne s’étonne pas de voir de plus en plus de têtes grises retourner sur le marché du travail pour joindre les deux bouts. Ou, tout simplement, pour éviter de toucher le fond du baril.

« On a réalisé un sondage à l’automne 2021 auprès de 1000 répondants, et le constat est le suivant : les aînés qui font ce choix ne le font pas pour socialiser, mais plutôt pour éviter de toucher le fond du baril. »

Il ne faut pas généraliser et il y a bien sûr des retraités qui reprennent le collier pour des raisons personnelles qui n’ont rien à voir avec un manque d’argent.

Dans certains magasins à grande surface, vous avez sans doute croisé des employé (e) s très expérimentés qui vous donnent des conseils judicieux avec un large sourire.

Là n’est pas le problème. Pierre Lynch est le premier à le reconnaître. Il ne parle pas au nom de ceux et celles qui ont une retraite confortable. Il s’exprime plutôt au nom des aînés qui ont droit à une « retraite digne », mais qui ont été envoyés sur la voie d’évitement.

Il propose des solutions. Et il attend des réponses qui ne viennent pas.

« Ce n’est pas à 70 ou 75 ans qu’il faut aider les aînés avec des crédits d’impôt afin qu’ils aient un peu plus d’argent dans leurs poches, c’est maintenant ! », tonne-t-il.

Des exemples ?

Dans son « bouclier antiinflation », le gouvernement de la CAQ a bonifié le crédit d’impôt non pas aux 65 ans et plus, mais plutôt aux 70 ans et plus, le faisant passer de 411 $ à un maximum de 2000 $.

Au fédéral, il faut attendre l’âge vénérable de 75 ans pour avoir droit à un rehaussement de 10 % de la pension de la Sécurité de la vieillesse.

CASSER LE CYCLE

À 72 ans, Pierre Lynch est luimême un retraité hyperactif. En plus de ses fonctions bénévoles, il siège sur quatre organismes du secteur de la santé dans Laval-laurentides.

« Je me sens encore jeune même si j’ai du millage dans le corps ! » lance-t-il avec humour.

Il a encore la santé. Et un bon régime de retraite. S’il consacre autant de temps à s’occuper des personnes âgées démunies, c’est parce qu’il a des convictions profondes.

« Il faut casser le cycle de la pauvreté chez les aînés. Il faut qu’on prenne conscience, sur le plan politique, qu’il y en a de plus en plus qui vont frapper le mur. Les aînés ont beaucoup donné au cours de leur vie. Ils ont droit à un juste retour de l’ascenseur. »

Voilà qui est dit. Et bien dit.

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