LeQuotidienSurMonOrdi.ca

ELENA QUI PARLE TOUT BAS C. BOULIE L’IMPOLIE

MYLÈNE MOISAN mmoisan@lesoleil.com

Le coeur de Catherine Kouassi « s’est brisé » quand elle a vu sa fille se faire intimider au primaire, se faire exclure de son groupe d’amis, si on peut appeler ça des amis. « Je ne savais pas quoi faire. J’avais aussi eu de l’intimidation à l’école et je n’ai pas su quoi faire. »

Elle a eu une idée, lui offrir des mitaines.

Quoi ?

Pas n’importe quelles mitaines, bien entendu, des mitaines magiques. « J’avais l’habitude de lui raconter des histoires tous les soirs, alors j’en ai inventé une avec une histoire qui ressemble à la sienne, où l’enfant peut enfiler des mitaines magiques pour se protéger, comme un bouclier, pour lui donner le courage de s’affirmer devant la personne qui l’intimide. »

Ça n’a pas été aussi facile que dans son histoire, Catherine devait d’abord percer la carapace que sa fille Elena s’était faite pour garder le secret de ce qu’elle vivait à l’école. « Si j’essayais de lui en parler directement, elle se refermait. Mais, quand je racontais l’histoire, des fois elle m’arrêtait et elle disait : “Je vis ça, maman”. Elle s’est ouverte à moi. »

Parce qu’avant d’être témoin de l’intimidation que sa fille vivait, Catherine la voyait changer, s’assombrir. « Ma fille rentrait de l’école en pleurant. Elle adoptait des comportements pour apaiser l’intimidateur, comme de s’excuser à l’avance pour quelque chose qu’elle aurait pu faire, lui donner ce qu’elle a, répondre à toutes ses demandes. Comme enfant unique, elle voulait éviter de se sentir seule, d’être exclue. »

Catherine a replongé dans ce qu’elle a elle-même vécu. « J’avais aussi vécu beaucoup d’exclusion, mangé mon lunch toute seule. Disons que mes années d’école primaire ont été difficiles, je vivais de la violence psychologique sans savoir que c’était ça, j’étais très malheureuse. »

Elle voulait à tout prix éviter ça à sa fille. « Je voulais trouver une façon pour que ça ne dure pas, que ça arrête rapidement. »

Pour aider sa petite, Catherine a cherché un peu partout un livre qui aborderait le sujet de l’intimidation, elle n’en a pas trouvé. Elle trouvait surtout des bouquins pour les jeunes au secondaire, mais rien au primaire alors qu’on sait que l’intimidation commence très tôt dans la cour d’école, et même à la garderie.

Qu’à cela ne tienne, Catherine allait user de son imagination et puiser dans ses souvenirs d’enfance. « Les mitaines pour moi, c’est quelque chose qui protège, et puis il y a ma grand-mère qui me chantait souvent “trois petits minous qui ont perdu leurs mitaines”… Ça m’a donné l’idée des mitaines magiques » et des chats qui font office de personnages.

L’idée est toute simple, « Elena qui parle tout bas » glisse dans son sac d’école lesdites mitaines et, quand elle se retrouve dans une situation avec une « amie » qui lui donne une boule dans le ventre, elle les enfile. Dans l’histoire, c’est Boulie l’impolie. Chaque fois qu’elle sort ses griffes, Elena sort ses mitaines et lui dit : « Non, je n’accepte pas ça ».

Et puis un soir, après l’heure du conte, Elena annonce à Catherine : « Demain, je vais lui dire ». Le moment est venu, elle est prête à affronter la fille qui lui fait passer de mauvais quarts d’heure, qui joue avec ses sentiments comme avec un yoyo. « Ça a été tout un travail. Ma fille a appris à mettre ses mitaines, à mettre ses limites. Elle lui a fait comprendre que “je ne suis pas obligée d’être avec toi. Je vais avec des personnes avec qui j’ai le goût d’être”. »

Aujourd’hui, Elena n’a plus besoin de sortir ses mitaines. « Ça a pris quelques mois avant que la situation se résorbe. Maintenant, elle est avec des amis bienveillants. » Boulie l’impolie est toujours là, mais il semble que les mitaines aient aussi produit un effet sur elle. « Je pense que la personne a évolué positivement, on la voit moins, il n’y a plus d’échos

négatifs. »

Elena, sept ans, a retrouvé le plaisir d’aller à l’école. Elle revient de bonne humeur, raconte à Catherine ses journées. « Tout est beau, maintenant. »

Catherine, elle, a tenu une promesse qu’elle avait faite à sa fille. « Un moment donné, ma fille m’a dit : “Je veux un livre ! ” Elle fait une bande dessinée par jour, c’est une fille qui est très créative, alors je lui ai dit “oui”, mais j’avais remis le projet. Elle m’est revenue avec ça, alors je l’ai fait, j’en ai fait un livre ! »

Avec son amie Sara Aylwin qui a fait les dessins, Catherine s’est investie — au propre et au figuré — dans la publication d’elena et

les mitaines magiques, qui vient tout juste de sortir de chez l’imprimeur. Elle a tout payé de sa poche, a fait produire une centaine de copies pour permettre à d’autres d’enfants comme sa fille d’enfiler des mitaines magiques.

Elle les vend sur le Web à mitainesmagiques.ca.

À travers les mitaines, Catherine avait trois objectifs bien précis pour désamorcer la mécanique des intimidateurs, pour que les intimidés reprennent le contrôle. « Je voulais dire trois choses avec le livre : un, va chercher de l’aide auprès d’un adulte, ne te referme pas. Deux, nomme tes émotions, et trois, mets tes limites. Je crois que j’ai atteint mon but. »

Mais ce qui vaut pour les enfants de la maternelle vaut aussi pour bien des grandes personnes qui n’arrivent pas à mettre leurs limites, qui se font manger la laine sur le dos. « J’aimerais ça que tout le monde ait des mitaines magiques. »

Qui peut dire qu’il n’en aurait jamais eu besoin ?

ACTUALITÉS

fr-ca

2023-06-03T07:00:00.0000000Z

2023-06-03T07:00:00.0000000Z

https://lequotidien.pressreader.com/article/281844353023376

Groupe Capitales Media